Le chef de la 49e promotion par le général LAVAUD de la 49e promotion

Le 5 novembre, 1927 le chef de bataillon de Lattre de Tassigny entre à l'École de guerre. Précédé d'une réputation peu commune d'homme d'action acquise au Maroc dans les postes déjà élevés où il a servi, son grade et son ancienneté le désignent aussitôt comme chef de Promotion.

 

Ce titre lui plaît. D'abord il le distingue des autres officiers de la 49e promotion. Puis de Lattre saisit tout de suite le parti qu'il petit tirer de cette prééminence. Il compte bien en effet, grâce à cette situation particulière, mener une action personnelle, tant auprès du commandant de l'École que de ses camarades, pour imprimer à cette promotion une marque qui sera la sienne.

 

Il prend immédiatement des mesures d'organisation, désigne un secrétaire, lui fixe ses attributions, persuade les chefs de groupe du rôle qu'ils doivent jouer, précise leur action qui doit dépasser largement le cadre normal des petites servitudes de la tâche journalière.

 

Il réunit plusieurs fois la promotion, lui parle, lui insuffle sa flamme et lui imprime rapidement une personnalité qui s'affirme tous les jours davantage au cours des deux années.

 

Malgré l'importance des travaux qui laissent peu de liberté aux officiers, il sait, avec le sourire, imposer aux chefs de groupe l'organisation de conférences au cours desquelles des camarades sont appelés à prendre la parole dans des domaines où leur compétence est connue.

 

Cet esprit de promotion est développé au maximum par ses soins pendant les voyages ou les exercices à l'extérieur, quand le contact direct, fréquent et prolongé, multiplie la puissance de ses dons de persuasion.

 

Toutes les occasions sont exploitées pour assurer une cohésion plus intime non seulement dans le sens de l'aide réciproque mais aussi dans celui de la qualité et de la grandeur.

 

Il attache une importance particulière à ce que les nombreux officiers étrangers qui font partie de la Promotion gardent de leur séjour en France une impression profonde et favorable. Il ne néglige rien pour que leur soit facilitée l'assimilation d'un enseignement développé dans une langue qui est loin d'être familière à tous. Il est gentil avec eux, il les reçoit et, dans de longues causeries, essaie de créer des liens qu'il estime indispensables et fructueux pour l'avenir. Il se lie même d'amitié avec certains d'entre eux.

 

A la fin de « l’amphi garnison », le dernier jour de présence à l'École, de Lattre exalte ce sentiment au cours d'une belle improvisation. Il jette les bases de l'Association des Anciens de la 49e promotion qui eut une vie très active jusqu'en 1939. Il est nommé président par acclamation. Les réunions annuelles rassemblaient toujours un nombre important d’officiers dont l’attachement à leur président apparaissait plus particulièrement touchant à cette occasion.

 

De Lattre, qui en était très fier, a toujours fait une place à part à ceux de la 49e ; bien des années après avoir quitté la place Joffre, même et surtout au sommet de sa gloire, il leur a toujours manifesté une attention affectueuse et une bienvenue chaleureuse.

 

Cette action de tutelle de la promotion qui, sous un angle particulier, n'est toujours qu'une des manifestations de son tempérament de chef, il la conduit en pleine liaison avec le commandant de l'École pour le plus grand bien de tous et le meilleur rendement du haut enseignement militaire dispensé à l'École.

 

Avec le général Hering, puis le général Duffour qui ont successivement commandé l'École supérieure de guerre pendant cette période, le commandant de Lattre a de fréquents entretiens desquels il rapporte toujours des mesures qui servent au mieux l'intérêt général.

 

Dans ses rapports avec les chefs de cours et les professeurs, sa déférence est absolue, mais sa personnalité déjà accusée accepte difficilement la qualité de « disciple » quels que soient les ménagements pris très élégamment à son égard. Il souffre quand la solution qu'il a défendue n'est pas adoptée, en particulier, il a peine à admettre qu'un instructeur moins ancien que lui ne partage pas son point de vue.

 

Admis très brillamment au concours d'entrée, il ne cesse de se tenir dans le peloton de tête et il sort dans les tout premiers de l’École. Ces résultats étonnamment constants, il les doit à son intelligence lumineuse, à sa puissance de réflexion, à sa faculté, de toujours saisir le nœud d'un problème, à son art d’exposer simplement et de mettre en valeur les points essentiels.

 

Il aime commander, donc prendre les décisions, les marquer de mots frappants, discuter longtemps leurs avantages, chercher leurs inconvénients, mais il déteste écrire le détail, régler les problèmes mineurs. Pour lui tout tient dans la pensée du Chef. Aussi déjà à l’École de guerre constitue-t-il une équipe de travail qu'il anime.

 

Dans cet esprit il réunit avenue de Versailles pour des travaux à domicile un certains nombre de familiers.

 

Contrairement à ce que certains peuvent penser, il ne craint pas la contradiction, il la souhaite au contraire, il la provoque, il y trouve des arguments dont il sait, le moment voulu, tirer infiniment de parti. Mais cette opposition aux idées qu'il émet, il ne la veut que loin des regards indiscrets, à l’intérieur du groupe qu’il a constitué et tant que le point final n'est pas arrêté.


Il sait profiter des connaissances de ceux que l'expérience militaire a déjà solidement charpentés. Il ne dédaigne pas pour autant les avis des jeunes dont l’optique, pour moins classique, lui plaît infiniment par son dynamisme et son goût du neuf. Il ne manque jamais de panacher son équipe.

 

Mais il sait déjà ménager ceux dont il devine le brillant avenir avec le flair pénétrant qui l'a tant servi par la suite. Dans la 49e Promotion quelques officiers sont parvenus à des postes considérables, il est juste de reconnaître qu'il les avait déjà distingués.

 

Dans les travaux personnels en salle, un peu moins à l'aise, il lui manque le tonifiant qui constitue pour lui le besoin de dominer au vu et au su de tous. Il rédige assez lentement par lui-même, revient sur son texte, le modifie sans cesse, finalement fournit un document dont l'exécution n'est pas toujours à la hauteur de l’idée qui l'anime.

 

Au cours du séjour à l’École, deux longs voyages d'études sont organisés qui conduisent traditionnellement les promotions, an cours de la première année dans le Nord-Est, puis en fin de stage sur la frontière Sud-Est.

 

Pendant ces voyages une grande liberté est laissée à chacun, sous réserve d'une présence obligatoire en certains points à jour fixé, pour un exposé assorti de discussions sur un sujet militaire ou économique, suivi fréquemment de la visite de gros ensembles industriels.

 

C'est sans doute pendant ces périodes qu'il était possible à ceux qui avaient la bonne fortune de voyager avec lui, ou qui le retrouvaient le soir au gîte de l'étape de voir de Lattre sous son aspect le plus naturel.

 

Il avait avant le départ préparé, personnellement son itinéraire avec un soin méticuleux, grâce aux informations rassemblées aux sources, sur les sujets les plus divers relatifs aux régions traversées. Sa vaste culture le mettait à l’aise aussi bien dans les problèmes militaires que dans les questions d'histoire, de géographie, d'architecture, de géologie, de démographie.

 

C'était un compagnon charmant particulièrement sensible à tout spectacle d'où émanait un air de grandeur. Les beautés de la nature ne le laissaient jamais indifférent, qu'il s'agisse des champs de bataille d'Artois traversés un soir d’orage effroyable où les trombes d'eau d'un rouge vif coulaient entre les trous d’obus, de Bruges, aux monuments exquis avec ses vieilles maisons tapissées de lierre, du château d'Ardennes au parc d'une majesté incomparable, de l’abbaye de Clervaux où l’accueil des Bénédictins fut un véritable salut à la France.

 

Il trouvait toujours les mots justes pour exprimer les sentiments que chacun sentait confusément et faire revivre l'histoire dont toute cette région était infiniment riche. Il possédait de nombreux souvenirs personnels qu'il se plaisait à raconter très simplement et qu'il disait avec beaucoup d'agrément.

 

Marié quelques mois avant d'entrer à l’École, Bernard lui était né en février 1928. Ce fils dont il était si fier, il en parlait fréquemment avec gentillesse, d'un mot bref, d'un rappel de caprice d'enfant quand les hasards de la route ou d'une conversation frappaient sa fibre paternelle.

 

Sa femme était déjà pour lui la collaboratrice ardente et dévouée à laquelle il demandait beaucoup, mais dont il suivait volontiers les avis, soulignant toujours d'un mot charmant sa soumission apparente. Il l'adorait et pendant les voyages, si loin qu'il fût, du fond de la Belgique comme des auberges des lointaines vallées alpestres, il ne manquait jamais de l'appeler affectueusement chaque soir au téléphone.

 

Elle accueillait toujours avec grâce et simplicité les familiers qui se réunissaient souvent dans le petit appartement de l’avenue de Versailles pour y discuter, jusque tard dans la nuit, sur tel ou tel sujet de tactique générale. Elle avait sa part dans la préparation des documents de travail et la mise au net des études de son mari.

 

Elle l'admirait et le servait au sens le plus élevé du terme.

 

Dans cette courte période qui représente le début de sa formation aux commandements élevés, de Lattre se révèle déjà tel que la légende l'a fixé comme grand Chef.

 

Alors qu'aucune responsabilité ne lui incombe normalement, il recherche toute occasion de dominer.

 

Tour à tour charmeur et brutal, toujours exigeant, le maniement des hommes le passionne.

 

Infiniment sensible, sa première question avant de porter un jugement tant sur un inférieur que sur un camarade ou un supérieur était toujours : « M'aime-t-il ? ».

 

Poursuivant avec beaucoup d'amour-propre la satisfaction de ses légitimes ambitions, il croyait en son étoile. Critiqué par certains, adoré par d'autres, l'unanimité se faisait immédiatement chez ses condisciples pour rendre hommage à sa valeur qui s'annonçait pleine de promesses.


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