L'ECOLE D'APPLICATION DU CORPS D'ETAT-MAJOR
Soldat de
l’An II, capitaine par voie d’élection, officier d’état-major en tant
qu’adjudant chef de brigade puis adjudant-général, général de division en 1794
et titulaire du brevet de « premier
lieutenant de l’armée » décerné par le Premier consul en
1799, conseiller d’État, ambassadeur amis surtout chef de guerre, le maréchal
GOUVION SAINT-CYR est l’un des plus talentueux lieutenants de l’Empereur, et,
sans doute, le plus ombrageux. Il s’est rallié aux Bourbons sans se renier en
politique.
Pendant deux ans, de 1817 à 1819, il entreprend comme ministre de
la Guerre une œuvre fondatrice pour l’armée du XIXe siècle.
Sa méthode personnelle de commandement lui a fait sentir les
insuffisances des états-majors à la fin de l’Empire : « des
aides de camp aussi braves qu’élégants, mais désignés par la faveur ou
l’amitié » manquaient trop de connaissances indispensables pour
remplir avec fruit le rôle d’intermédiaire entre le chef et ses troupes.
L’ordonnance du 6 mai 1818 porte donc création du corps royal
d'état-major, alimenté par une École d'application d'état-major du corps royal
d’état-major.
Localisation
Jusqu’en 1823, l’École est installée dans un hôtel loué au marquis
de la Briffe, aux nos 2 et 4 de la rue de Bourbon (actuelle rue de Lille), à
Paris. Comme les locaux mis à sa disposition étaient insuffisants, on s'avisa
que l'hôtel de Villeroy, au 26, rue de Varennes, avec ses vastes dépendances
nouvelles, pourrait facilement la recevoir, et, au milieu de l'année 1822, le
conseil de santé des armées recevait l'ordre de lui céder la place ;
l’École y reste jusqu’en 1827. A partir de 1842, elle se trouve dans l'ancien
hôtel de Sens, rue de Grenelle.
Commandement - organisation
Le premier commandant de l'École est le général de brigade du
corps d'état-major François-Alexandre DESPREZ ; ancien polytechnicien,
ancien aide de camp de Joseph BONAPARTE, il a pris part à la bataille d'Ulm, à
la bataille d'Austerlitz, fait les campagnes d'Espagne et de Russie puis est
nommé maréchal de camp à la Restauration. Pendant les Cent-Jours, il choisit
d'être à nouveau l'aide de camp de Joseph BONAPARTE. Il
est mis en non-activité au retour de Louis XVIII ; c'est au crédit du
général comte DE CLERMONT-TONNERRE, plus qu'à sa valeur personnelle, qu'il
doit, en 1818, sa réintégration dans les cadres et sa nomination à la tête de
l'École d'application du corps royal d'état-major.
Il a d'abord sous ses ordres le colonel DE SALAIGNAC, le
commandant VALÉRY DE SIRIAQUE, directeur des études, le capitaine LA ROUVIÈRE,
le commandant NAUDET, chargé de l'enseignement des manœuvres, le sous-intendant
ODIER pour le cours d'administration militaire, l'ingénieur-géographe chef
d'escadron MAISSIAT, pour le cours de topographie, le chef de bataillon
d'état-major LALLEMAND, le chef de bataillon KOCH, chargés des cours d'art et
d'histoire militaire, le chef de bataillon du corps D'AUDEBARD DE FÉRUSSAC,
chargé du cours d'astronomie, le capitaine du génie AUGOYAT, le capitaine
d'artillerie POUMET ayant dans leurs attributions les cours sur la
fortification et l'artillerie. Les lieutenants d'état-major BENOÎT, HANUS,
LEVILLAIN sont adjoints aux professeurs militaires.
Cinq professeurs civils sont attachés à l'École, MM. GIRARD pour
·la géométrie descriptive, SARCHI pour la langue italienne, SIMON et GAUTIER
pour la langue allemande, GUYOT pour le dessin.
Un chirurgien en chef, M. VERGEZ, un médecin, M. TINCHANT, un
chirurgien major, M. LACROIX, sont chargés du service de santé, et M. GALIZOT
réunit entre ses mains les services de trésorier, secrétaire, archiviste et
bibliothécaire.
Les deux derniers commandants de l’École d’application
d’état-major seront les généraux GANDIL et LEWAL qui assureront sa transformation
en École militaire supérieure puis en École supérieure de guerre.
En complément :
- Encadrement de l'Ecole d'application d'état-major.
Recrutement
Les élèves sont choisis parmi ceux de l’École spéciale militaire
et de l’École polytechnique susceptibles d’obtenir le brevet de
sous-lieutenant, ainsi que parmi les sous-lieutenants de l’armée. Ils ne sont
admis que par voie de concours.
Ces principes consacrent une régularité certaine dans le
recrutement mais cachent mal des passe-droits et des anomalies qui
entretiendront un débat de fond pendant toute l’existence de l’École et du
corps d’état-major.
- Variation d’une année sur l’autre de l’effectif choisi ;
l’effectif moyen d’une promotion s’établit autour de trente stagiaires et
s’avère, sur la longue durée, insuffisant.
- Places réservées, sans concours d’entrée, aux polytechniciens.
- Élèves surnuméraires sans conditions d’entrée imposés par la
cour jusqu’au milieu du siècle.
- Suspicions autour des épreuves du concours d’entrée « qui avaient pour but principal de se débarrasser des élèves dont
on ne voulait pas. »
En complément :
- Liste des promotions de l'Ecole d'application d'état-major.
Enseignement
L'enseignement comporte des mathématiques, de la géométrie
descriptive, de la physique, de la chimie, de la cosmographie, de la
géographie, de la topographie, des cours d'artillerie, des études des
différentes forteresses, une instruction théorique et pratique sur les
manœuvres de cavalerie et d'infanterie. L'élève doit aussi se perfectionner, en
équitation, en danse, en escrime, en langues étrangères, connaitre tous les
règlements de l'administration militaire. Ajoutons à cela l'histoire des
peuples, l'histoire des guerres, l'art militaire, la littérature, le latin et
la rhétorique, sans oublier bien entendu les différents travaux graphiques.
La durée des études est de deux ans. Après ce temps, les élèves
qui ont satisfait aux examens, sont appelés, dans l’ordre de leur numéro de
sortie, à accomplir des stages dans les régiments d’infanterie, de cavalerie et
d’artillerie de l’armée. Ce n’est qu’après ces stages qu’ils remplissent des
fonctions d’officiers d’état-major.
La scolarité ne semble pas avoir laissé des souvenirs
impérissables dans les mémoires des officiers du XIXe siècle qui insistent plus
volontiers sur leur carrière en Afrique. D’autres stigmatisent l’aspect
théorique d’études où la pratique n’excède jamais un quart de l’emploi du temps
en deuxième année.
Hormis en fin de période, où le capitaine NIOX, professeur de
géographie militaire, est à l’origine d’un travail fondamental dans ce domaine,
la médiocrité du corps professoral est relevée à plusieurs reprises ;
certains professeurs y effectuent toute leur carrière et l’un des premiers
soucis des réformateurs de l’École supérieure de guerre sera de bouleverser les
habitudes en renouvelant totalement le personnel enseignant.
Le régime des études est peu contraignant, la discipline
approximative, la vie hors service souvent très mondaine et d’une grande
liberté pour des élèves en général financièrement à l’aise et qui, une fois
titularisés, bénéficieront d’avantages de solde significatifs par rapport à
leurs camarades des régiments.
CASSAIGNE, aide de camp du maréchal PÉLISSIER à Sébastopol et
élève de l’École en 1838-1839, écrit : « Il est vrai
aussi que nous avons bien des ennuis et qu’un jeune officier se soucie fort peu
de faire chaque jour quelques heures d’architecture ou de construire des
cadrans solaires. » FIX, élève en 1848-1849, décrit le régime des
études : « Neuf heures d’exercices journaliers dont
deux pour l’équitation, et sept pour les études, leçons et travaux graphiques
qui avaient une singulière importance ; toute la partie de l’officier du
génie y était abordée ainsi que le dessin, le levé à vue, la géodésie et
l’astronomie. »
On voit l’apport du corps des officiers du génie et des ingénieurs
géographes dans cette scolarité, au détriment de la simple tactique qui est
cruellement délaissée y compris dans son étude pratique sur la carte ou sur le
terrain.
Globalement boudée par les bouillants officiers soucieux d’aller
guerroyer en Afrique, critiquée et jalousée, l’École n’en est pas moins le
creuset où s’initient des carrières parfois brillantes et aussi
exceptionnellement rapides.
La carrière
de l’officier d'état-major
En quittant l'École, les officiers
d'état-major se « frottent » à la troupe par des stages en régiments (deux ans
dans l'infanterie, deux ans dans la cavalerie, un an dans le génie) du moins en
principe. Malheureusement, force est de constater que les chefs de corps ne les
utilisent qu'en fonction de leurs compétences spécifiques et ne leur confient
pas (n'osent pas leur confier ?) de commandement. Les exemples sont très
nombreux de stages écourtés, voire de pure complaisance.
Les officiers du corps d'état-major se
répartissent ensuite, après leur titularisation, en deux populations aux
ambitions et à la carrière très différentes mais qui toutes deux perdent, à peu
près totalement, le contact du corps de troupe pour se consacrer à des
activités « en lisière » du domaine spécifiquement militaire.
1 - La voie aide de camp : Elle est
parfaitement résumée par le général JARRAS au début de ses souvenirs : « Grâce
à de longs services de guerre appréciés par d'illustres chefs, j'étais parvenu
de bonne heure au grade le plus élevé de l'armée. » Quelle est cette carrière ?
JARRAS a débuté comme aide de camp de CAVAIGNAC en 1848 dans une période
troublée, puis à l'état-major de PÉLISSIER en Crimée avant d'être désigné comme
aide major général en Italie. Remarqué par l'Empereur il sert comme aide major
général à l'état-major impérial avant d'être le chef d'état-major général de
l'armée de Metz (BAZAINE). Il a également servi en Afrique et à la direction du
dépôt de la guerre.
C'est l'illustration parfaite du « système du
parrainage » qui fait d'un officier le premier « des élèves » du maréchal X. et
qui attache l'intéressé à la carrière de son mentor pendant une durée parfois
très longue : Charles CASSAIGNE, attaché au général PÉLISSIER à partir du 4
octobre 1847 comme capitaine, tombe à Sébastopol en 1855, lieutenant-colonel
... et toujours aide de camp du maréchal PÉLISSIER.
Ernest COURTOT DE CISSEY, ministre de la
Guerre en 1874, débute en Algérie comme aide de camp du général TRÉZEL puis sous
BUGEAUD, puis PÉLISSIER. Chef d'état-major de l'armée d'Afrique, de la
division, puis du corps d'armée BOSQUET en Crimée, il atteint le grade de
général de division sans avoir jamais, auparavant, commandé une troupe au feu.
C'est donc la voie « royale », non exempte de calcul et de favoritisme, où les
appuis et fidélités, y compris politiques, ont leur part.
2 – La voie bureaucratique : L'autre
population d'officiers d'état-major peuple les bureaux et directions du
ministère ou s'adonne aux travaux de « la carte », souvent avec talent, mais en
s'enlisant, peu à peu, dans une confortable routine qu'un avancement
globalement très lent n'a aucune raison de bouleverser. Les mémoires du colonel
FIX, très intéressantes bien que sujettes à caution venant d'un laudateur du
système, décrivent une atmosphère de travail dans les bureaux parisiens du
dépôt de la guerre que ne renierait pas Courteline.
Affectés jeunes en service topographique et
travaillant sur le terrain en autonome à des tâches très spécifiques, les officiers
dirigent en milieu de carrière une section topographique, responsable d'un
territoire donné, et terminent aux différents échelons du dépôt de la guerre ;
d'autres encore, chefs de bureaux ou rédacteurs, fonctionnent en totale
autarcie dans une logique foncièrement administrative, et sans ambition
particulière. Les officiers, servant dans les états-majors opérationnels à des
places autres que celle de « chef des secrétaires » ou chef du courrier, sont
finalement minoritaires et ne doivent qu'à leur talent et à leurs appuis d'être
reconnus.
Cette dualité dans l'emploi des officiers du
corps perdure jusqu'à la guerre de 1870 et démontre que malgré un sentiment
d'appartenance très fort, l'homogénéité du corps des officiers d'état-major est
loin d'être prouvée.
L'homogénéité sociale, contrairement à la
perception du corps d'état-major par l'extérieur, demande aussi à être nuancée.
Si les différents régimes ont tous vu dans l'École d'application une filière
pour placer des rejetons de l'aristocratie de la naissance ou de la fortune
(tendance qui perdure pendant tout le second Empire), une étude de M. SERMAN
conclut à une proportion de 66% d'officiers roturiers, 22 % appartenant aux
différentes noblesses prouvées et 12 % avant des prétentions nobiliaires. En
dehors de l'autorecrutement militaire fortement représenté (38% des officiers
du corps), 6% sont fils de grands notables, 37% sont issus des classes moyennes
et 19% des classes populaires. Encore l'étude ne porte-t-elle que sur la
période 1848-1870 où le processus de démocratisation du recrutement tend à
s'accroître.
Cependant, au XIXe siècle, le corps
d'état-major n'en conserve pas moins, non seulement aux yeux des autres
militaires mais vis-à-vis de l'opinion publique, les apparences d'un corps
réservé en priorité à l'élite de l'aristocratie et de la bourgeoisie fortunées.
Dans un registre différent, l'École forme
également des personnalités qui ne s'illustrent pas exclusivement dans la
carrière des armes : sculpteurs (PAJOL), dessinateurs (baron TAYLOR), hommes de
sciences et membres de l'Institut (PERRIER), pionniers de la photographie
militaire (LANGLOIS).
Elle s'efforce de répondre à l'exigence de
l'ouverture d'esprit de ses élèves « à tous les développements scientifiques,
industriels, économiques sans la connaissance desquels le commandement reste
invariablement terre à terre » (FIX).