Allocution de clôture des études de la 93e promotion, prononcée par le général de corps d’armée ARNAUD DE FOÏARD en juin 1981




Messieurs,

 

Voici donc votre dernière réunion et, à vrai dire, les temps me paraissent bien brefs qui nous séparent de ce mois de septembre 1979 où vous vous réunissiez pour la première fois près d'ici, dans l'amphithéâtre Louis.

 

A cette occasion, je vous avais préparés aux tâches qui allaient vous attendre en vous disant qu'il importait pour vous essentiellement d'une part de parfaire votre compétence dans le domaine spécifiquement militaire de l'emploi des armes, et d'autre part de vous attacher à réfléchir sur le monde actuel et sur le contexte dans lequel se situerait votre action, afin de lui donner son sens exact.

 

Il ne m'appartient pas de dire si la tâche accomplie en deux ans est couronnée ou non de succès. C'est à vous qu'il appartiendra de le faire en montrant à quel point vous êtes à la pointure des responsabilités qui vont vous être données maintenant et auxquelles vous accéderez parce que vous sortez de cette Ecole.

 

Au demeurant, le succès d'une entreprise telle que celle qui a été menée ici, ne dépend pas uniquement de la qualité du programme ou du corps professoral ; il dépend aussi de la qualité des hommes qui sont entrés dans cette maison.

 

Et à ce titre, alors que je vais moi aussi quitter cette Ecole, je puis vous dire que les quatre années que j'y ai passées, m'ont fait acquérir la certitude que notre armée de Terre (et peut-être notre armée en général), a su conserver une élite humaine de grande valeur, ce qui à mon sens est le meilleur garant d'avenir.

 

Mais que voire modestie se rassure, toute cette élite n'est pas rassemblée au sein de cette promotion et je crois qu'il est bien qu'il en soit ainsi. Sans cela, que d'espoirs déçus et peut-être quelle curée entre gens de bonne compagnie !

 

Toutefois, ce qui est certain, c'est que vous serez tous voués à. l'exercice de responsabilités importantes, quel que soit leur niveau, et que vous exercerez ces responsabilités dans un monde de plus en plus dangereux dans lequel les clignotants d'alarme s'allument avec une intensité qui peut être tenue pour inquiétante, et que je tiens personnellement pour inquiétante.

 

Mais ce n'est pas à l'occasion de cette réunion, de cette dernière assemblée, que je vais tirer des conclusions à ce stage, car il n'y en a pas. Une formation telle que colle que vous avez entreprise ici durera toute votre existence. Elle rie doit pas avoir de fin.

 

Je n'ai pas non plus de message capital, de directive, essentielle ou importante à. vous dire, sans ça vous pourriez vous demander pourquoi j'ai attendu si longtemps avant de vous les transmettre, j'aurai pu et dû le faire plus tôt.

 

Par contre, j'aimerais aujourd'hui vous tenir des « propos de l'étrier », vous donner un dernier conseil ou plus exactement vous livrer les réflexions qui me sont venues à l'esprit lorsque je pensais, ces jours derniers, à ce que j'allais vous dire à cette occasion.

 

Mon propos sera double. Il consistera tout d'abord à souligner auprès de vous toute l'importance que revêt actuellement l'équilibre des idées et des sentiments qui doivent vous animer au cours de la suite de votre carrière et inspirer votre action. Il consistera ensuite à souligner auprès de vous l'importance que vous devez vouer au culte des responsabilités.

 

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L'équilibre des idées et des sentiments.

 

J'entends par là que lorsque vous serez appelés à juger des gens et des choses, à adopter ou à choisir un comportement, à arrêter une conception d'action, vous devrez me semble-t-il, toujours intégrer, toujours tenir compte, dans le point de vue que vous arrêterez, de celui opposé au vôtre, de celui différent, complémentaire de celui auquel vous serez arrivés par inclination naturelle ou par raison. Je vais expliquer de façon concrète, par quelques exemples, ce que j'entends par cela.

 

Je crois que cette attitude est nécessaire parce qu'elle améliorera l'efficacité de votre action ; l'équilibre, l'harmonie de votre personnalité facilitera considérablement ce que vous entreprendrez. Je pense aussi que c'est nécessaire parce que je suis personnellement frappé par la montée dans notre monde, de l'outrance, de la passion et de la violence. Les hommes de défense que nous sommes ne peuvent se désintéresser de cela. S'il ne nous appartient pas de prendre sur nos épaules le destin du monde, nous avons toutefois à assumer dans ce domaine une part de responsabilité en adoptant une attitude et un comportement qui puissent apporter une compensation à cette outrance.

 

Quels exemples invoquer ? Ils sont légions.

 

Je les chercherai font d'abord dans la conception même de notre métier. Par le fait même que vous ayez choisi le métier des armes, vous êtes des hommes qui êtes voués à la guerre, au combat. Vous devez y aller si l'occasion s'en présente, je dirais presque de gaieté de cœur. J'aurais pour ma part tendance à tenir pour une escroquerie le fait qu'un homme ayant choisi ce métier n'aimât pas se battre.

 

Cette composante de personnalité doit donc être présente en permanence dans votre tempérament, dans votre état d'esprit, dans votre façon d'être. En contrepartie, compte tenu de la nature et de la puissance des armes dont nous disposons dans le monde actuel, compte tenu du degré d'évolution de la société à laquelle nous appartenons, je crois qu'il est non seulement souhaitable mais nécessaire que les hommes que nous sommes, apportent dans l'emploi de la force et de la violence, une mesure, nue pondération, un souci de le maintenir à soit étiage, à son niveau minimal, afin de faire cri sorte que cette composante inéluctable de notre vie sociale trouve titi nouvel équilibre. Je vous incite à réfléchir à celle affaire car je pense personnellement que c'est une des bases sur lesquelles il convient d'asseoir l'éthique nouvelle du métier des armes au sein de notre société, en phase avec notre évolution.

 

Choisissons un autre exemple d'équilibre : la réflexion et l'action. Vous êtes (les hommes qui, ici depuis deux années, vous êtes livrés à une réflexion approfondie. Vous avez été incités à vous livrer ait culte des idées, à cette valorisation de vous-mêmes par la réflexion ; c'est d'ailleurs sur cette base que repose toute la pédagogie de l'Ecole. Nous avons de fait tenté d'amener les hommes que vous êtes à se valoriser eux-mêmes par une réflexion propre et intérieure mettant en résonance, cri interconnexion, toutes les idées, tolites les connaissances que vous avez acquises ici. Cette plus-value vous est indispensable ne serait-ce que pour vous préparer à l'action.

 

Mais il était tout aussi indispensable que ce culte des idées auquel vous vous livriez ait une compensation dans le souci de demeurer concret, pratique, de toujours rattacher l'idée au fait, aux données matérielles. Nous vous avons incités à avoir certes les yeux levés vers l'esprit mais en gardant les pieds sur terre ait risque, si vous lie le faisiez, de vous perdre dans les marécages de l'intellectualisme. Il ne faut surtout jamais perdre de vue que cette réflexion à laquelle nous vous incitions avait pour finalité exclusive et essentielle l'action. Vous êtes d'abord des hommes d'action, des hommes destinés à l’action ; à la plus brutale qui soit, la guerre, celle que je viens d'évoquer, mais aussi à l'action la plus noble, la plus humaine qui soit, à l'exercice du commandement.

 

Un autre domaine d'équilibre est celui de la logique et (le l'intuition. Vous êtes par nature et par essence des cartésiens. Nous sommes nés dans les bras de Descartes si je puis dire et depuis que nous sommes nés, nous, Français, en particulier, sommes poussés à cultiver cet esprit de logique qui pousse à décomposer la vérité en au tarit de parcelles afin de la mieux percevoir, de la mieux connaître, pour la mieux comprendre. Cette démarche sert aussi à être capable de mieux communiquer, de mieux pouvoir organiser l'action entre un certain nombre de personnes, en étant certain que la façon dont chacun voit la chose est conforme à la vôtre. C'est encore un moyen permettant d'être certain que l'on n'oublie rien dans la démarche du raisonnement. La fabuleuse M.R.T, que vous connaissez bien est toute emprunte de cette logique.

 

Mais sans doute savez-vous aussi que cette démarche de l'esprit permet rarement d'accéder au meilleur de soi-même, c'est-à-dire à cette créativité, à cette innovation, à cette découverte du nouveau, bref, à cette libération de l’invagination créatrice, possible seulement lorsque l'esprit est libre de vagabonder en lui-même. Alors sachez équilibrer ces deux tendances qui peuvent vous habiter : celle d'abonder dans la logique et celle de céder à l'intuition. Lorsque vous enchaînez votre esprit à la pesanteur de la première, sachez parfois l'en libérer pour essayer de susciter en vous cette imagination créatrice qui sera probablement la meilleure part de vous-mêmes.

 

Recherchez aussi l'équilibre dans un autre domaine, celui du doute. Vous devez être habités par le doute, parce que le doute constitue cet apport particulier, cette insatisfaction de l'esprit qui vous permet de ne pas tenir pour uniquement valable ce à quoi vous croyez, ou la situation avec laquelle vous êtes confrontés, ou les idées que vous avez arrêtées. D'ailleurs la valeur communément accordée à l'idée arrêtée, aux idées figées, prouve à quel point lorsque l'on se refuse au doute, on se limite soi-même. Il vous faut donc être des hommes de doute car c'est un facteur de progrès.

 

Mais il faut tout autant et d'égale façon que vous soyez des hommes de conviction, c'est-à-dire tenant, et amarrés, à un certain nombre de vertus et de vérités que vous tenez pour premières, pour essentielles, pour immuables. Il le faut parce que ces convictions et ces vérités existent et en dehors même du monde spirituel. Elles existent parce que, pas plus qu'il n'y a d'ordre absolu, il y a de désordre absolu ; il n'y a pour s'en convaincre qu'à regarder ce qui nous entoure, l'univers. Ces convictions doivent en outre exister parce que sans elles vous ne pourriez pas organiser votre action, vous ne pourriez pas bâtir - lorsque l’on bâtit sur le doute, on bâtit sur des sables mouvants. Ces convictions doivent exister enfin parce que dans l'exercice de votre commandement, vous devez être capables d'entraîner ceux qui vous entourent, par les convictions qui vous animent, faute de quoi vous ne seriez pas suivis. Soyez tour à tour des hommes de doute et des hommes de conviction, je dirai même des hommes de foi, c'est-à-dire accédant au niveau le plus élevé de la conviction. La foi soulève dit-on les montagnes. C'est vrai, et je tiens pour certain que quiconque n'a pas cette foi intérieure, cette richesse en lui, n'est pas à la mesure de la réalisation de grands projets, si d'aventure l'éventualité s'en présente sur son chemin. Soyez donc des hommes de doute et de conviction et des hommes de foi.

 

Voici un autre domaine encore dans lequel il faut que vous parveniez à trouver votre équilibre : l'obéissance et l'initiative.

 

Vous êtes des hommes d'obéissance et vous devez être des hommes de soumission parce que la discipline a fait, fait et fera toujours la force principale des armées. Mais dans le monde dans lequel nous vivons, compte tenu de la complexité des problèmes et des exigences des hommes qui l'habitent et de leur degré d'évolution, il faut être capable de ne pas se limiter à soi-même et de provoquer chez ses subordonnés les initiatives sans lesquelles nous paralyserions les machines que nous avons la responsabilité de faire marcher.

 

Cet équilibre, cette démarche entre l'obéissance et l'initiative se manifeste par l'évolution que vous connaissez bien, de la discipline formelle à la discipline intellectuelle, entre la discipline, je dirais primaire, stricte, figée et matérielle et la discipline intellectuelle, celle qui fait participer l'esprit et qui est une forme supérieure de la discipline, mais combien plus exigeante si elle est plus noble.

 

Sachez donc trouver votre équilibre entre ces deux voies en étant persuadés que si vous péchez par excès de soumission ou de demande de soumission, vous paralyserez, les organismes à la tête desquels vous vous trouverez, par passivité et par inertie, et que si vous faites l’erreur inverse, si vous péchez par manque de contrôle, eh bien vous les paralyserez d'une autre façon, par l'anarchie des initiatives.

 

Dans votre comportement, recherchez encore l'équilibre dans le mode d'exercice de votre autorité. D'un côté, pratiquez l'ouverture à la compréhension de l'homme subordonné, à laquelle nous sommes tellement incités à l'époque actuelle en raison sans doute des progrès des sciences humaines mais aussi en raison du progrès de l'évolution tout court. Il est certain qu'il faille céder tout naturellement à cette impulsion de fonder l'autorité sur le souci de l'homme. A vrai dire, tout chef bien né, quel qu'il soit, de tout temps, a toujours tenu en considération les hommes qu'il avait à commander.

 

Mais d'un autre côté, il faut aussi que vous sachiez que l'autorité doit s'exercer avec une rigueur qui doit être en certaines circonstances implacable.

 

Elle doit être implacable parce que les situations l'exigeront ou parce que les hommes peut-être le réclameront. Cette souplesse, cet équilibre que vous devez trouver entre les deux formes d'autorité ne sont pas figés une bonne fois pour toutes, il n'y a pas de recette, cela dépend des circonstances et des hommes. C'est vous qui lui donnerez sa plasticité afin d'être tour à tour des chefs détendus et souriants, des chefs compréhensifs, ou des chefs implacables.

 

Souriants et détendus, c'est là encore un autre domaine dans lequel vous trouverez ou essayerez de trouver un certain équilibre. Il faut que vous soyez capables d'être des hommes qui, dans certaines circonstances, incarniez une certaine rigueur dans l'exercice de votre autorité et dans l'ambiance que vous créerez autour de vous. Dans d'autres circonstances il faut que vous sachiez sourire, rire et détendre l'atmosphère. Cette attitude est nécessaire car elle conditionne l'ambiance de travail et lorsque l'ambiance est bonne et agréable, on travaille plus agréablement, plus facilement, plus efficacement, sans pour autant ériger la drôlerie et le rire en une véritable religion. Je ne crois pas en effet que pour qu'un homme soit pris en considération, il faille qu'il soit capable de faire rire à tout propos. De même une assemblée n'est pas une assemblée de primates sortis du fond de leurs cavernes ou de leur continent parce que l'on n'y rit pas toutes les cinq minutes. Par contre, je pense qu'il est souhaitable de trouver un équilibre entre les attitudes d'autorité et de détente souriante.

 

Un autre équilibre à trouver réside dans la spontanéité dans laquelle vous pouvez vous entretenir tout naturellement. Vous pouvez en effet être des hommes aimant prendre une décision rapidement et qui aimiez avec spontanéité, avec fougue, partir dès qu’une sollicitation extérieure vous incite à l'action. Et ce comportement est de nature à inciter à la sympathie, voire à l'enthousiasme. Vous pouvez au contraire être des hommes pleins de retenue et de réserve estimant que le calcul du risque est un des impératifs du commandement en ce qu'il évite de transformer l'exercice de l'autorité en aventure ou qu'il ne soit qu'un jeu de hasard.

 

Sachez tempérer, équilibrer les impulsions propres à ces deux comportements et si vous êtes ces brillants hussards prêts à partir aux quatre coins de la carrière sur la moindre incitation, sachez de temps en temps apprendre à charger au pas. Rappelez-vous M. de Talleyrand : « Doucement, disait-il à son cocher, doucement Joseph, je suis pressé. » De même si vous avez une vocation de sphinx, sachez de temps à autre faire en sorte que, votre retenue cesse et que vous vous projetiez vers l'extérieur, ne serait-ce que pour prouver que votre silence et votre retenue ne recouvrent pas que la vacuité.

 

Autre domaine d'équilibre à rechercher, celui de la conception même de l'exercice de votre métier des armes ; j'entends par là la disponibilité à laquelle vous devez répondre, cette disponibilité qui est probablement une des vertus essentielles auxquelles vous devez tenir. Sachez lui donner son poids et sa mesure. Cette disponibilité peut être extrême, vous savez en effet que dans certaines circonstances, elle peut aller jusqu'au sacrifice de vous-mêmes et vous devez de temps à autre vous le rappeler, sans pour autant assimiler le métier des armes à une vocation de mort que l'on donne ou que l'on reçoit. Mais c'est une éventualité qu'il faut avoir présente à l'esprit.

 

D'un autre côté, cette disponibilité ne correspond pas à une exigence de semaines de 168 heures. Il faut que vous ne cédiez pas à ce que l'on pourrait tenir pour une facilité ou pour une lâcheté, de réserver le sens du devoir uniquement à votre fonction professionnelle. Il faut que vous trouviez l'équilibre nécessaire pour être capables d'avoir la disponibilité qui convient dans le cadre de votre fonction professionnelle et de réserver la part qui convient à la détente et à la remise en condition, et de réserver aussi la part qui convient à vos obligations et à vos devoirs familiaux.

 

Tout, vous le voyez, est question d'équilibre.

 

Je crois qu'on pourrait multiplier à l'infini les exemples de cette nature, mais mon propos n'est que de souligner auprès de vous à quel point il est important d'avoir ce souci d'équilibre et d'harmonie dans le comportement qui sera le vôtre demain afin de valoriser votre action certes, ainsi que je vous le disais, mais aussi afin d'apporter une compensation aux outrances de la société dans laquelle nous vivons.

 

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Le deuxième domaine dont je désire vous entretenir est celui du sens et du culte des responsabilités.

 

Je crois qu'il est souhaitable d'abonder dans ce sens, bien sûr par souci d'efficacité, parce que vous êtes, par essence, par définition, des hommes de responsabilités, niais aussi parce que je pense que notre société présente certains travers dont il faut tenir compte.

 

J'entends par là que je discerne, j'observe, qu'une sorte de léthargie sécurisante semble se répandre sur la société à laquelle nous appartenons.

 

Les causes en sont multiples et facilement observables. Ainsi, les délices de Capoue, quelles qu'elles soient, et notamment celles de toutes les sociétés de consommation, n'ont jamais entraîné chez les citoyens une recrudescence d'exigences à l'égard d’eux-mêmes ou à l'égard de la collectivité.

 

Par ailleurs, le libéralisme qu'il soit économique ou politique, a toujours sécrété des toxines sécurisantes, ne serait-ce qu'en raison de la publicité et de la, propagande, à laquelle l'ensemble des citoyens vivant dans un tel milieu sont soumis. « Votez pour moi, achetez mon produit et tout ira bien, tout ira mieux, vous n'aurez plus à vous inquiéter. » Je ne critique pas, j'observe.

 

D'autre part, dans le monde et dans les sociétés dans lesquelles nous vivons, la croissance des dimensions des structures, l'ampleur des organismes au sein desquels noirs vivons, sécrètent-elles aussi des toxines d'irresponsabilité et ces toxines sont d'autant plus virulentes que la dimension est importante et qu'elle relève d'une gestion étatique.

 

La conséquence immédiatement observable est qu'en nos sociétés, les citoyens demandent en permanence à être assistés, ils n'assument plus spontanément leurs responsabilités essentielles, ils veulent être assurés contre tout, contre la maladie, contre leurs conditions de travail, contre tout cataclysme de quelque nature que ce soit. De surcroît, ils considèrent que cette exigence d'assurance tous risques est un dû et qu'elle n'inclut aucun devoir de leur part en contrepartie. Je suis convaincu que ce climat d'irresponsabilité entraîne une certaine sclérose, une certaine nécrose du tissu social. En outre, il n'est pas compatible avec la défense dont nous avons la responsabilité.

 

Dès lors et sans qu'il soit encore une fois question de prendre sur nos épaules le destin du monde, mais d'adopter un comportement, une attitude, qui apporte une certaine contrepartie à cet état de fait, il m'apparaît indispensable d'user de l'exercice des responsabilités, du culte des responsabilités, comme d'un anticorps, comme un remède actuellement indispensable, Il s'agit de cultiver les responsabilités en soi et pour soi, ainsi que celles que l'on donne.

 

J’aimerai faire quelques remarques à ce propos.

 

Je pense qu'il n'est pas souhaitable que l'exercice des responsabilités se réfère par excès ni au sens et au souci de l'intérêt personnel, ni au sens et au souci de l'intérêt de la structure dont on a la responsabilité.

 

S'il s'agit du sens et du souci de l'intérêt personnel, cela me parait évident. Je pense que vous percevez comme moi que tout patron, tout responsable qui ne travaille que pour lui, qui n'agit qu'en fonction de son intérêt personnel n'entraîne pas naturellement l'adhésion de ceux qu'il a la responsabilité d'animer, de diriger.

 

Par contre, il me paraît plus important d'insister sur le fait que, lorsque vous serez à la tête d'un organisme, en position de responsabilité, vous devez considérer la responsabilité qui est la vôtre non pas en elle-même, en fonction de cet organisme, isolé de son contexte, mais en fonction de la place qu'occupe cet organisme dans le tout,

 

Ne soyez pas de ceux qui assimilent la partie au tout. Ne soyez pas de ceux qui n'agissent qu'en fonction de l'intérêt de l'organisme dont ils ont la responsabilité ou de ceux qu'ils ont à commander, car dans certains cas, vous iriez à l'encontre de l'intérêt général et votre action serait plus négative que positive. Situez-vous donc dans le tout à chaque fois que vous aurez des responsabilités à exercer, et tenez l'intérêt général pour référence supérieure de votre comportement.

 

En contrepartie de ce que je viens de dire, peut-être clans ce souci d'équilibre que j’évoquais précédemment, je crois qu'il est important que vous vous acharniez à valoriser dans toute la mesure du possible, l'organisme, la structure, la fonction que vous exercerez.

 

La valoriser pourquoi ? Mais parce que les gens qui seront sous vos ordres n'exerceront leurs fonctions avec efficacité que dans la mesure où ils seront persuadés de son utilité pour ne pas dire de son importance.

 

J'attire enfin votre attention sur le fait qu'il faut éviter l'erreur qui consiste à ne référer l'importance d'une fonction qu'à son niveau an sein de la hiérarchie sociale ou de la hiérarchie tout court. Dites-vous bien que la qualité et la valeur d'un fauteuil ne se réduit pas à la valeur du fauteuil en lui-même, mais qu'elle dépend surtout de la qualité et de la valeur de l'homme qui l'occupe. Il est de grands fauteuils qui sont petitement occupés, de même qu'il en est de petits qui le sont somptueusement.

 

Soyez donc de ceux-là qui confèrent à la responsabilité qu'ils exercent toute son importance et toute sa qualité, qui s'attachent à lui procurer sa meilleure valeur. Dans une certaine mesure, on n'a jamais que la responsabilité qu'on se donne.

 

Quant au culte des responsabilités que vous devez essaimer autour de vous, en se référant à ce dont je vous parlais tout à l'heure à propos des initiatives, ce me paraît une nécessité évidente.

 

Je crois qu'il faut que vous vous acharniez à valoriser le sens des responsabilités auprès de vos subordonnés ; c'est nécessaire dans la société dans laquelle nous vivons compte tenu de la nature des hommes et de la complexité des problèmes qui sont à résoudre. Je pense que tout organisme dont la qualité et la valent se réduiraient à celles de l'homme qui est à sa tête, quelle que soit la valeur de cet homme, pécherait par insuffisance. Il faut faire la somme des aptitudes, des compétences, qui nous entourent. Vous devez toujours vous efforcer de fertiliser le milieu dans lequel vous vous trouvez par la diffusion des responsabilités. Acharnez-vous à le vivifier par la démultiplication des responsabilités. Commander c'est donner et coordonner des responsabilités ; vous le savez bien, vous sortez d'une étude sur ce sujet.

 

Voilà, messieurs, les quelques idées que je voulais brièvement évoquer devant vous à l'occasion de votre départ : équilibrez vos personnalités, valorisez les responsabilités.

 

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Il me reste maintenant, messieurs, à vous dire au revoir.

 

Je formerai un vœu : c'est que la promotion que vous formez conserve sa cohésion. Vous avez réussi, grâce à l'action de votre président et de son secrétaire, à la cohésion que vous avez toujours manifestée entre vous, à être une équipe soudée. Je crois qu'un des principaux mérites de l'Ecole de guerre est de former des équipes d'hommes qui se connaissent et qui s'apprécient et qui, ensuite, poursuivent leur action tout au long de leur carrière en utilisant ces liens privilégiés qui les unissent.

 

Gardez cela. Gardez-le précieusement et maintenez lorsque vous aurez quitté l'Ecole cette cohésion qui fait votre force.

 

Vous dire au revoir consistera non pas à vous dire adieu mais à vous dire le plaisir que j'aurai à vous revoir à l'occasion et à suivre le déroulement de votre carrière. Des liens aussi m'unissent à vous, ceux tissés au cours des deux années que nous avons passées ensemble. Sachez qu'ils me sont précieux et qu'à l'occasion, je les verrai toujours se manifester avec plaisir.

 

Je ne veux pas dans ces propos dissocier nos camarades étrangers de l'ensemble de votre promotion parce que je considère maintenant que vous formez un tout, que cette promotion est une unité et que les officiers étrangers qui sont ici sont parfaitement assimilés. Bien qu'il soit possible que ce que je tiens pour un compliment puisse parfois ne pas être tenu pour tel par leur pays d'origine !

 

Quoi qu'il en soit, messieurs, au revoir, je vous souhaite bonne chance. Et si la chance est dit-on la forme la plus élaborée du génie, eh bien je pense que le succès vous est acquis. Et si vous me le permettez, que Dieu vous garde !

 


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