Allocution d’ouverture du stage de la 84e promotion prononcée par le général de division THENOZ le 14 septembre 1970




Messieurs,

 

Je suis heureux de saluer ici aujourd'hui en vous la 84e promotion de l'École Supérieure de Guerre.

 

Pour avoir l'honneur d’en faire partie, et quelle que soit votre origine - concours ou brevet technique -, vous avez dû affronter avec succès une sélection sévère, et vous pouvez en être fiers - légitimement.

 

Votre promotion constitue le dernier maillon d’une longue chaîne - presque centenaire - d'officiers de qualité qui a donné à l’armée française une pléiade de chefs valeureux. C’est un honneur dont vous devez être conscients, mais dont vous devez vous montrer dignes. Noblesse oblige.

 

Je salue ici particulièrement les nombreux officiers des armées étrangères que compte la 84ème promotion. Leur présence parmi nous, pendant ces deux années d’études qui s'ouvrent aujourd’hui honore l'école et constitue pour elle un précieux témoignage de confiance et d'amitié.

 

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Tout à l’heure, le Colonel LEMATTRE, Directeur des études, vous exposera les idées générales qui président à l'enseignement de l'École, puis le Colonel GILLIOT, votre Directeur de cycle, vous dira dans quel style et dans quelle ambiance il convient que se situent vos travaux, et de façon générale, votre vie à l'École.

 

Ce que je veux, pour ma part, vous dire au préalable c'est, dans l'optique de la mission de l'École, quel est le cadre général de son enseignement et dans quel esprit j’entends que votre stage se déroule.

 

 

N’attendez pas de moi, aujourd'hui des lumières définitives sur ce que l'on peut appeler les « grands principes », sur la doctrine ou la tactique. Toutes ces choses viendront en leur temps.

 

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Le Ministre a fixé la mission de l’École dans les termes suivants :

 

- « Former, pour l’Armée de terre, des cadres supérieurs de qualité destinés

 

- aux postes de direction des états-majors de grandes unités ;

 

- aux postes importants des états-majors nationaux, interarmées et interalliés ;

 

- et les préparer intellectuellement à l’exercice d’un commandement interarmes ».

 

Ces buts, qui sont élevés, constituent la finalité de notre enseignement, sur laquelle nous devons toujours garder les yeux. Elle constitue en effet le fil directeur, qui confère sa cohérence à un programme d'études et d’activité qui, sans elle, pourrait parfois paraître divergent.

 

Dans cet esprit, des sujets aussi différents que, par exemple, les études opérationnelles, les problèmes humains ou les travaux des grandes commissions, ne doivent pas apparaître comme une juxtaposition de disciplines sans lien entre elles, mais comme les parties d’un tout.

 

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La mission de l’École nous amène à définir, pour l'enseignement qu'elle dispense, deux objectifs d'essence différente.

 

Le premier - et le plus certes - est de vous préparer aux hautes responsabilités qui seront normalement les vôtres, soit dans les états-majors de rang élevé, soit dans le commandement interarmes au niveau des grandes unités.

 

Cela nécessite un enseignement orienté vers l'avenir à moyen et à long terme. Disons pour fixer les idées, que nous préparons avec vous l’encadrement supérieur de l'armée des années 1980.

 

Bien loin d’être fixés sur le présent, vous allez penser, réfléchir, travailler, les yeux fixés sur le futur. Ce faisant, vous allez pénétrer des domaines où l’incertitude et la recherché dominent, où rien n'est établi sans remise en cause possible, où tout est mouvement, mais où la confrontation et l'échange des idées ont un caractère passionnant, car ils débouchent sur le devenir de notre armée.

 

Permettez à l'ancien que je suis - et qui ne peut s'empêcher de comparer ce qui vous attend à ce qu'il a connu ici il n'y a pas si longtemps - de vous dire que vous avez de la chance et que vous devez en avoir conscience.

 

Quoi de plus exaltant, en particulier, que de vous préparer ici à être à la hauteur d'un événement aussi considérable, aussi décisif pour l’avenir de l’armée, que l'avènement du Pluton ?

 

Quoi de plus exaltant, que d'avoir le sentiment de contribuer par vos réflexions, par vos travaux, à faire progresser, à asseoir une doctrine nucléaire tactique nationale ?

 

Orientés ainsi vers l'avenir, il va sans dire que vous ne pourrez recevoir de nous, en bien des domaines, des vérités assises, pour la raison que nous en sommes nous-mêmes encore à les cerner. Vous serez donc dans le domaine de l'incertain, mais vos réflexions aideront à lever les incertitudes.

 

Dans un tel contexte, vous comprendrez que nous ne pouvons vous nantir d’un bagage de connaissances qui vous donnerait réponse à tout. Ce, que nous cherchons principalement, c'est vous donner une méthode de pensée, étayer votre jugement et aider votre personnalité à s'affirmer.

 

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Le deuxième objectif de notre complémentaire du premier, est conçu, par contre, dans une optique à court terme.

 

Il consiste en effet à vous préparer de façon aussi pragmatique que possible, aux fonctions qui vous incomberont dès votre sortie de l’École et dans les quelques années qui suivent :  par exemple, de chef de bureau des états-majors de grande unité, de chef de section à l'Administration centrale, puis de chef de corps. Et ce faisant, vous garderez le contact avec la réalité actuelle de l'Armée. Ainsi, ce contact des réalités assurera-t-il un juste équilibre avec la dominante nettement prospective de vos études - dont je viens de vous parler.

 

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Pour atteindre ces objectifs, il faudra vous attacher à un certain nombre d'attitudes intellectuelles qui sont - à n'en pas douter - la marque de cette maison : rigueur de l'analyse, objectivité du jugement, souci - je dirai presque - goût de l’évolution, adaptation au travail en commun, et surtout, au-dessus de tout cela, esprit de synthèse et esprit de décision, sans lesquels tout le reste risque de n’être que vain palabre.

 

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Et puis, il convient que votre stage à l’École s’accomplisse dans un certain esprit.

 

Sachez, tout au long de ces deux années, rester parfaitement disponibles. Vous avez certes, déjà, une expérience non négligeable, vous avez une compétence certaine de votre métier. Gardez-vous de vous figer sur ce que vous avez acquis, sur ce que vous savez, sur vos habitudes de pensée et d'action.

 

Ne craignez pas leur remise en cause. Elle ne procède pas d'une démarche négative, mais d'une saine discrimination de vos points forts et de vos insuffisances.

 

Sachez faire preuve de modestie et accorder de la considération à l'opinion de vos pairs. Si doués que vous soyez, pourquoi auriez-vous toujours forcément raison ? Gardez-vous de l'élocution facile. Elle n'apporte aucune garantie à la justesse du raisonnement.

 

« Parler pour ne rien dire » - c'est un travers qu’on attribue parfois - à tort, bien sûr - à l'École et aux brevetés - et qu'il vous faut absolument proscrire.

 

N’hésitez pas à « participer », sans crainte de vous engager personnellement. Vos professeurs, loin de se cantonner dans un enseignement magistral qui vous dispenserait un savoir, seront pour vous de plus en plus, au fil du mois, des animateurs qui fixent les buts à atteindre, vous aident à trouver la voie qui y conduit et vous amènent à tirer vous-mêmes les enseignements et les conclusions de synthèse.

 

Engagez-vous sans arrière-pensée, et donc suis esprit de compétition.

 

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Ceci m'amène à évoquer devant vous le problème de votre notation.

 

C’est un problème important qui conditionne dans une large mesure le climat dans lequel vous allez travailler pendant tout votre stage.

 

Je dis tout d'abord, de la façon la plus nette, qu'il n’y a pas - qu'il ne saurait y avoir - de classement numérique formel entre vous.

 

Je pense qu'il est bon de le dire, car cela n’a pas toujours été le cas autrefois.

 

De même, vos travaux ne sont pas sanctionnés par des notes chiffrées plus ou moins occultes, ce qui serait ridicule.

 

Par contre, vous serez l'objet d’appréciations sur les feuilles de notes annuelles, comme tous les officiers - et ces appréciations porteront plus sur votre personnalité et vos aptitudes, que sur votre savoir.

 

Par le biais de vos travaux, de votre participation à l'enseignement, de votre comportement, mais au-dessus de tout cela, ce sont vos qualités d'homme et d’officier qui nous intéressent.

 

Bien sûr, comme dans toute collectivité, il y a dans une promotion, un lot de tête plus ou moins nombreux suivant les années les stagiaires que vous allez être savent très bien d’ailleurs - et très vite ceux qui en font partie - et, à l’opposé, des gens moins doués que les autres, en particulier pour les activités d'École. Il ne peut donc, y avoir uniformité des appréciations. Elles sont aussi variées et nuancées que vous êtes vous-mêmes différents les uns des autres.

 

Mais elles ne sauraient constituer pour vous une sorte de jugement définitif, qui serait pour les meilleurs un viatique à toute épreuve jusqu'à la fin de leur carrière, et pour les moins bons, une condamnation sans appel.

 

Vos notes d’École de Guerre sont importantes pour vous, certes, mais elles ne le sont pas plus que celles que vous aurez comme chef de corps, chef d'état-major, chef d'un bureau de rang élevé.

 

Elles apportent un certain éclairage sur votre personnalité - que, seule, peut donner l'École - mais elles doivent être considérées dans le cadre général de votre carrière.

 

 

Voilà, Messieurs, ce que je voulais vous dire en prenant contact avec vous.

 

Travaillez en confiance, participez activement, réfléchissez, affirmez votre personnalité, et alors votre passage à l'École vous aura apporté un inestimable enrichissement et il marquera de façon décisive votre carrière d'officier.



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