Allocution d'ouverture du stage de la 96e promotion prononcée par le général de corps d'armée LANG le 13 septembre 1982.




Messieurs les officiers stagiaires,


Ce sont d'abord des mots de bienvenue que je désire vous adresser au premier jour d'une tranche de vie qui devrait être la plus enrichissante de votre carrière.


Ces souhaits de bienvenue vont en particulier aux officiers étrangers dont la présence ici nous honore. Nous savons depuis toujours combien l'École et les stagiaires français tirent bénéfice de leur contact, grâce au capital professionnel diversifié qu'ils représentent. Messieurs les officiers étrangers, notre confiance et notre amitié vous sont acquises.


A vous tous, officiers stagiaires français et étrangers, j'adresse mes vœux de plein épanouissement. Vous allez bénéficier d'un privilège exorbitant : consacrer deux années du milieu de votre carrière, dégagés de toute responsabilité immédiate, à accroître vos connaissances et affermir vos capacités professionnelles en vue d'être aptes à devancer l'événement, à peser sur lui, au point de le maîtriser.


Le plus difficile n'est pas d'entrer à l'École de guerre, comme le laissent entendre parfois certains mauvais esprits. Le plus difficile sera de donner la preuve que vous étiez dignes de la possibilité d'enrichissement qui vous est offerte. Le bilan sera dressé après la sortie de l'École, dans l'exercice de vos responsabilités, face aux réalités certainement difficiles que nous réserve un monde dangereux. A vous d'en tirer immédiatement les conséquences et de vous efforcer d'acquérir au cours de ces deux années à venir une maturité confiante et résolue, obtenue par un travail soutenu et une réflexion constante, au contact des réalités, enrichie par les nombreux échanges que vous devrez rechercher, tant auprès de vos professeurs que de vos camarades.


La finalité du stage qui s'ouvre aujourd'hui s'exprime par la mission dévolue à l'École et précisée en ces termes en 1978 : « Former des officiers de haute qualification destinés à :


     - exercer des commandements importants ou des fonctions de direction ;

     - tenir des postes de responsabilité dans les états-majors. »


Deux buts sont fixés : l’immédiat qui consiste à vous mettre en condition d'exercer des fonctions d'auxiliaires éclairés du commandement dès 1984 ; l'autre, plus lointain, qui doit vous préparer à assumer de hautes responsabilités aux niveaux élevés du commandement, à l'horizon de 1990-1995.


Cette mission à deux composantes, à deux niveaux, à deux échéances, implique naturellement une conduite différenciée de l'instruction. Elle apparaît clairement à travers la distinction qu'il conviendra de faire en permanence entre la doctrine et ses décisions arrêtées, pour le premier objectif, et la recherche et ses ouvertures pour le second.


La doctrine est définie. Elle a été établie à partir des grandes options politiques et stratégiques. Elle est le cadre précis dans lequel nous serions appelés à combattre demain s'il le fallait. Vous devez donc la connaître parfaitement à travers les règlements qui la mettent en application, pour être des exécutants fidèles, aux postes qui vous seraient assignés en cas de conflit. Vos professeurs ont reçu des directives pour se référer régulièrement aux règlements et vous fournir en la matière les certitudes dont vous avez besoin. Je veillerai personnellement à ce que chaque exercice soit clôturé par une séance de conclusion faisant le point exact des enseignements à assimiler.


Cette parfaite connaissance de la doctrine en vue d'une application stricte des règlements en vigueur, ne doit pas pour autant stériliser votre réflexion et votre imagination. Comme toute doctrine, la nôtre évoluera et nous devons participer à cette évolution.


En matière de recherche par contre, vous pourrez laisser libre cours à votre sens critique et à votre imagination créatrice. Vous serez même sollicités, à l'occasion des grandes commissions par exemple, pour présenter et défendre vos idées concernant le futur, les matériels nouveaux à mettre au point, les tactiques originales à concevoir, éventuellement le modèle d'une année différente. N'hésitez pas, en la matière, à bousculer s'il le faut certaines idées reçues et à pousser la recherche tous azimuts, aux limites du concevable. Mais au moment de la restitution, comme chaque fois que vous aurez à présenter une thèse, sachez faire preuve de réalisme et limiter vos propositions à des solutions acceptables que vous serez en mesure de défendre efficacement, par écrit et oralement, avec des arguments percutants et convaincants.


Je suis certain que vous saurez, tout au long de ce stage, faire la différence entre la doctrine à maîtriser, à approfondir en vue d'une application d'autant plus efficace qu'elle sera cohérente à tous les niveaux, et la recherche où pourra se manifester librement votre capacité d'imaginer, de proposer et de convaincre.


Le stage qui s'ouvre aujourd'hui peut sembler long, vu de l'extérieur. En fait, il s'avère difficile de faire étudier tous les sujets indispensables à votre formation. Des insatisfactions se manifesteront, dues en particulier aux courts délais parfois consentis à certaines études.


Les sujets militaires essentiels, particulièrement au niveau de la division, seront approfondis, ce qui ne pourra pas être le cas de toutes les études générales, pourtant fort intéressantes. Mais votre formation n'a pas commencé à l'École, elle ne s'y arrête pas non plus, fi vous appartiendra d'approfondir par la suite les disciplines que vous estimerez indispensables de maîtriser en raison de vos responsabilités ou de vos intentions.


Pour parvenir aux objectifs d'enseignement qui nous ont été fixés, compte tenu des délais imposés, une pédagogie participative et finalisée a été mise en place. Elle vous impliquera quotidiennement dans l'organisation de votre travail, dans la recherche et la transmission des connaissances. Elle devra permettre à chacun d'apporter le meilleur de son savoir, sous réserve de bien se placer dans les conditions d'une ambiance de communication.


Cet impératif est fondamental : ce sont la confiance et l'estime réciproques qui président aux succès au combat, elles doivent se cultiver dès le temps de paix et présideront également, j'en suis certain, à la réussite de notre entreprise. Rien d'efficace et de durable ne sera réalisé sans esprit de camaraderie et sans compréhension. Les rapports que vous entretiendrez entre vous et avec vos cadres devront s'appuyer sur ces qualités qui ont toujours enrichi les relations qui nous lient. Bannissez tout individualisme outrancier, facteur d'égoïsme, de confort intellectuel et de compétition malsaine. Bien sûr vous serez notés, comme tout officier de l'armée française, chaque année et suivant les normes connues. Pour éviter tout esprit de compétition, il n'est procédé à aucun classement intérieur et soyez persuadés que dans le dossier d'un officier breveté, les appréciations méritées au cours de son séjour à l'École de guerre pèsent infiniment moins lourd que celles obtenues, d'abord à l'issue de ses commandements, ensuite au cours de ses autres activités. L'excellente ambiance que je souhaite voir régner déterminera un climat de confiance mutuelle, marqué par le souci de la concertation et des efforts en commun. Il suppose amitié et solidarité.


Je m'efforcerai naturellement de participer en bonne place à cet effort commun. Je viendrai parmi vous aussi souvent que possible. Je prendrai vos travaux au point où ils seront et je vous demande de rester vous-même en toute circonstance.


Ainsi donc, dans une ambiance favorable, nous nous proposons de vous faire acquérir sur les sujets essentiels, les connaissances indispensables pour apprécier une situation, en analyser les éléments déterminants, savoir éventuellement recourir aux spécialistes compétents et animer leurs actions, en vue d'élaborer les solutions possibles et surtout d'arrêter le choix définitif.


Cet apprentissage d'un savoir-faire tient à des méthodes de raisonnement et à des techniques d'action. Ne privilégiez pas les premières par rapport aux secondes, ne sacrifiez pas aux abstractions. Vous êtes des hommes d'action et vous devez lutter contre le virus de l'intellectualisme qui nous guette si nous œuvrons en cercle fermé. Un effort de pragmatisme est indispensable à chaque phase de vos études. Restez ouverts au monde extérieur et soyez attentifs aux préoccupations de nos camarades qui vivent les activités journalières de nos unités et en assument toutes les responsabilités. Je m'efforcerai de faciliter vos contacts et votre information militaire permanente aussi bien en ce qui concerne la vie de notre armée que l'évolution des crises militaires dans le monde. Votre sens du concret devra en particulier s'appliquer aux domaines suivants et à leur évolution dans le temps : le comportement de l'environnement, les progrès scientifiques et leurs applications, les contraintes financières. Toutes vos réflexions, toutes vos conclusions doivent intégrer dans leurs conséquences tout ou partie des éléments majeurs qui évoluent dans le temps et sont : les hommes, la technique et le coût.


École de pensée militaire, l'École de guerre se doit d'être également l'école de la volonté, de l'énergie et de l'endurance. Je n'ai pas la prétention de modeler votre personnalité ou de forger votre caractère. Vous avez été choisis sur des critères qui prenaient en compte ces caractéristiques fondamentales. A vous de les maintenir à un haut niveau, sans oublier qu'elles seraient rapidement amoindries et vaines sans une saine valeur physique indispensable. Vous serez donc appelés à un entraînement physique régulier et l'insuffisance chronique des installations sportives ne sera jamais une excuse recevable : le Champ-de-Mars est très bien fréquenté. Les exercices pratiques des études opérationnelles seront menés dans le même esprit, ils vous conduiront sur le terrain, de jour et de nuit, pour vivre plus réellement les manœuvres correspondantes.


Mes vœux ne s'arrêtent pas là, je vous souhaite en effet robustes, hommes de réflexion et de culture, hommes d'action et de guerre, capables de convaincre et d'entraîner, mais en plus j'aimerais que vous abordiez cette période avec deux dispositions d'esprit qui conditionneront l'impact de votre formation, deux attitudes qui plus tard permettront à votre savoir tout neuf d'être plus productif. Je veux parler de l'humilité et de la générosité. L'humilité, car si vous pouvez à bon droit être fiers de votre réussite, celle-ci ne vous accorde pas systématiquement la connaissance universelle et encore moins l'expérience durement acquise. Respectez donc les autres et sachez reconnaître leurs mérites. La générosité, car votre situation privilégiée vous crée des devoirs. Vous aurez beaucoup reçu intellectuellement, matériellement et peut-être même moralement, il vous faudra être prêts à beaucoup donner.


Finalement, si je devais récapituler et condenser tous les souhaits que je formule en votre faveur, je citerais trois vertus principales qui à mes yeux constituent le plus précieux des investissements :


     - la compétence, fruit de votre intelligence et de votre travail personnel, sans laquelle l'autorité n'est que vanité ;

     - le caractère, produit harmonieux du courage et de l’humilité ;

     - le désintéressement, expression discrète de la primauté de l'intérêt général sur l'intérêt personnel.


Elles constituent le profil que doit posséder tout officier investi de hautes responsabilités.


J'espère naturellement que vous atteindrez, tous, les sommets que vous visez et comme il n'est pas question de mettre en doute, ni votre caractère, ni votre désintéressement, je vous incite à vous atteler au travail sans attendre, pour acquérir cette troisième vertu qui seule, pour le moment, vous fait en partie défaut : la compétence.


Messieurs, je vous remercie.


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