Les épreuves d’admission à l'École supérieure de guerre en 1905

Extrait du supplément illustré du Petit journal militaire, maritime et colonial (n°29)

 

 

L'horizon du candidat à l'Ecole supérieure de guerre


Les conditions d’admission

Avant tout examen, les candidats sont soumis à un choix extrêmement sévère. Ils doivent, en effet; remplir une foule de conditions.


Ce sont les généraux commandant les corps d'armée qui ont pouvoir d'accorder, ajourner ou refuser l'autorisation de se présenter à l'École de guerre. Ils sont juges suprêmes de la façon dont les candidats remplissent les conditions voulues.


Ceux-ci peuvent être du grade de lieutenant ou de celui de capitaine. Les premiers doivent avoir au moins cinq ans de grade d'officier dont trois de service actif dans la troupe. Une circulaire datant de plusieurs années prescrit de ne donner l'autorisation aux officiers qui auraient moins de sept ans de grade que dans des cas tout à fait exceptionnels et seulement après autorisation expresse du ministre.


L'École de guerre est ouverte aux officiers de toutes armes : infanterie, cavalerie, artillerie, génie, infanterie et artillerie coloniales, train des équipages, gendarmerie, etc. Évidemment, quelques origines préparent moins que d'autres à la valeur tactique et aux connaissances militaires, mais il n'y a, du fait de l'arme d'origine, aucune exclusion, témoin cet officier de gendarmerie qui, il y a quelques années, est entré brillamment, à l'étonnement général, à l'École de guerre et en est sorti premier.


De même, les officiers sortant du rang peuvent prétendre au brevet tout aussi bien que ceux de Saint-Cyr ou de Polytechnique. Il est incontestable que le niveau beaucoup plus élevé de l'instruction générale nécessaire pour entrer à ces deux grandes écoles, les études plus complètes que l'on y fait prédisposent tout naturellement les officiers qui en sortent, plus que tous ceux qui sortent du rang, au travail et à l'étude. Mais ces derniers n'ont que plus de mérite à rattraper leurs camarades, et tous les ans un certain nombre d'officiers de Saint-Maixent, Versailles ou Saumur montrent que leur valeur et leur acquis ne le cèdent en rien à ceux des camarades sortant des grandes écoles. Cinq à six officiers d'entre eux réussissent tous les ans à subir les examens avec succès.


Outre les conditions d'ancienneté dont nous venons de parler, les généraux ont à tenir compte de beaucoup d'autres considérations les instructions ministérielles leur prescrivent d'être d'une extrême sévérité sur la valeur mo­rale des candidats. Ceux qui, dans le courant de leur carrière, ont eu la moindre tache, ceux, par exemple, dont la situation intime ne serait pas parfaitement nette, ceux qui auraient des dettes, etc., sont impitoyablement écartés. Ces généraux doivent, en outre, juger si, malgré leur ancienneté, les officiers présentés ont la maturité d'esprit nécessaire pour profiter réel­lement des hautes études auxquelles ils ambi­tionnent de se livrer; dans le cas contraire, ils ajournent à l'année suivante et au besoin pren­nent les mesures nécessaires pour faire confier au candidat des emplois qui permettent de développer et de juger les qualités sur lesquelles on a des incertitudes.


Ils doivent aussi tenir compte des aptitudes physiques ; les officiers trop corpulents auraient, en effet, beaucoup de mal à remplir, sur le champ de bataille, les fonctions souvent toutes de mouvement d'un officier d'état-major appelé, par exemple, à galoper à fond de train sur de grands espaces pour chercher ou porter un renseignement ou un ordre urgent. Une mauvaise vue ou une ouïe imparfaite rendraient toute reconnaissance impossible.


Pendant un certain temps, on s'est montré trop peu rigoureux sur ce chapitre, et il existe des officiers bre­vetés, très rares heureusement, qui sont, sans lorgnon, à peu près incapables de se diriger ; en campagne, dans des circonstances critiques, leur mission et leur vie seraient à a merci de la chute de ce lorgnon; c'est inadmissible.


L'endurance à la fatigue est également une qualité indispensable. Les états-majors seront toujours absolument surmenés à la veille d'une bataille et pendant le combat lui-même, qui peut durer, on le voit par la guerre actuelle, une semaine et plus. Qu'on se souvienne seulement de l'exemple de Napoléon qui, la veille d'une action, passait absolument la nuit blanche, ainsi naturellement que tout son entourage. Même en temps ordinaire, le sommeil sera bien compté et bien irrégulier ; c'est en effet le soir qu'arrivent les renseignements et comptes rendus sur ce qui s'est passé dans la journée. C'est après leur arrivée que les états-majors doivent s'efforcer de tirer au clair la situation, de préparer et rédiger les pièces, les ordres qui en résultent, puis quand le grand chef a prononcé, ils assurent dans tous ses détails l'exécution des ordres; il faut qu'au plus tard à leur réveil, les troupes reçoivent les ordres qui les concernent. Pendant qu'elles reposent, l'officier d'état-major travaille donc avec fureur, lui, à la lueur d'une lampe fumeuse, en quelque humble pièce d'une maison de village. Et après la nuit passée la plume à la main, il lui faut parfois dévorer les espaces à travers champs au galop d'un cheval fougueux. Pour être réellement à hauteur de leur tâche, les officiers d'état-major doivent donc être physiquement d'une forte trempe.


Enfin, certaines qualités de caractère, une grande souplesse d'intelligence et de volonté sont, sans exclure l'initiative, des conditions précieuses et importantes à rechercher. Nous avons vu, en effet, que tout en l'aidant de leurs lumières et de leurs connaissances, les officiers d'état-major doivent être capables d'épouser en quelque sorte la pensée du général, de s'en imprégner, de façon que tous leurs efforts, tous leurs actes, tous leurs écrits soient en conformité parfaite avec la pensée dont ils ont à assurer l'exécution. Or, ces qualités de caractère et de souplesse, d'intelligence ne sont pas dévolues à tout le monde.


On voit donc que les généraux commandants de corps d'armée ont un rôle délicat à remplir, dans cette élimination des candidats. En fait, on peut estimer qu'ils refusent l'autorisation à peu près à un cinquième de candidats, sans compter que tous les officiers qui seraient désireux de se présenter, mais savent pertinemment qu'ils ne remplissent pas les conditions, renoncent sagement d'eux-mêmes à présenter leur demande.


On voit donc qu'aux points de vue autres que ceux de la valeur technique qui doit être éprouvée par les examens d'admission à l'École de guerre, les futurs états-majors sont recrutés avec un soin rigoureux, et que ceux qui surmontent tous les obstacles sont réellement des sujets de haute valeur.


Les examens ne peuvent être subis que trois fois. On a voulu, par cette mesure, couper court aux abus de quelques officiers peu consciencieux qui, sans se préparer sérieusement, se faisaient autoriser à se présenter à plusieurs reprises uniquement dans le but de venir passer quelques semaines à Paris. D'ailleurs, on estime que les candidats qui ont échoué trois fois ne remplissent vraisemblablement pas les conditions techniques dont cet examen doit leur permettre de faire preuve.


La préparation des examens est une grave affaire ; elle demande plusieurs années de travail sérieux, d'autant plus que le candidat n'est généralement dispensé par son chef de corps d'aucun service ; il ne peut donc disposer que des instants de liberté que lui laissent ses fonctions. Pendant un, deux ou trois ans, parfois plus, tandis que, le soir et le dimanche, ses ca­marades se reposent et se distraient, il s'astreint à piocher avec acharnement ouvrages de tactique, règlements des trois armes, histoire militaire, etc., etc. Dans beaucoup de petites garnisons, les bibliothèques sont mal montées ; le candidat se trouve alors, pour ses études, dans des conditions fort désavantageuses par rapport à ceux de ses concurrents, qui, dans les grandes viles ou à Paris, ont sous la main toutes les ressources matérielles.


Plus encore que les livres, les « tuyaux » sont utiles. Le programme est tellement vaste qu'il faut être orienté, surtout quand on ne s'est pas encore présenté, sur « ce qu'on veut », sur la façon dont il importe de traiter les questions à l'examen, le sens clans lequel on doit travailler pour s'y, préparer. Un guide est donc à peu près indispensable. Il n'en est pas de meilleur qu'un officier ayant déjà passé un an à l'École de guerre, ou un officier d'état-major récemment sorti de l'École. Il est bien des matières qu'on ne trouve traitées nulle part dans le sens voulu ; il est des branches de l'examen pour lesquelles aucun livre n'est suffisant, par exemple l'épreuve de fortification, celle de topographie et surtout celle de tactique, si capitale; il n'y a donc pas d'autre moyen de s'y préparer que de réunir les conseils de ceux qui les ont subis victorieusement, et prenant ces obligeants officier comme professeurs, de leur demander des sujets dont on soumettra ensuite le développement à leur correction. C'est ainsi que les officiers de l'École sont presque tous professeur de quelques-uns de leurs jeunes camarades.


Le concours d'entrée

La nature des épreuves du concours a beaucoup varié ces dernières années.


Jusqu'en 1903 les examens écrits étaient précédés d'un levé topographique exécuté au mois d'octobre sur le terrain, aux environs des garnisons, sous la surveillance d'un officier supérieur. Cette épreuve a été supprimée ; elle ne donnait, en effet, que des résultats fort médiocres : celui qui avait dû exécuter son travail sous la pluie ne pouvait, en toute justice, entrer en concurrence avec celui qui avait été favorisé par le temps ; la vérification de l'exactitude des levés, tous différents, émanant de tous les coins de la France, était impossible ; enfin, la surveillance matérielle était tout à fait illusoire. Il était devenu traditionnel, malgré l'interdiction faite, de s'aider de la carte d'état-major, voire des cartes à plus grande échelle publiées pour les environs de certaines garnisons.


Pendant plusieurs années, les épreuves écrites ont été divisées en deux parties : la première, d'admissibilité, subie aux chefs-lieux de corps d'armée; la seconde, subie par les officiers déclarés admissibles à l'École de guerre même, immédiatement après les examens oraux. Les deux groupes d'épreuves écrites sont aujourd'hui fondus en un seul.


L'examen se composera donc, en 1906 :


1° Des épreuves écrites d'admissibilité, subies pour les candidats de chaque corps d'armée au chef-lieu de ce corps d'armée. Le nombre des officiers admis à subir ces épreuves est d'environ 500, sur lesquels 160 à 180 seront déclarés admissibles;

2° Les officiers admissibles subiront, à Paris, des épreuves orales et un examen d'équitation.

 

Les épreuves écrites

 

L'admission dépend des notes obtenues dans ces deux séries d'épreuves. Le nombre des admis, fixé par le ministre après les examens, est généralement de 80 à 85.


Les sujets des compositions sont choisis par le comité technique d'état-major sur la proposition du général commandant l'École supérieure de guerre. Les professeurs compétents de l'École ont, à cet effet, préparé, pour chaque matière, cinq sujets de composition entre lesquels le comité technique choisit au nom du ministre.


Ces sujets sont envoyés sous double enveloppe cachetée. La première est ouverte dès la réception des sujets; la deuxième ne le sera qu'en présence des candidats.


Dans chaque corps d'armée, le chef d'état-major est chargé de la surveillance pendant les compositions écrites ; toute communication des candidats avec l'extérieur et entre eux est interdite.


Il est défendu d'avoir recours à des livres ou notes d'aucune sorte. Toute fraude ou infraction entraînera immédiatement la mise hors concours du candidat qui l'aura commise,


Pour assurer l'impartialité dans la correction des épreuves, les officiers doivent s'abstenir absolument de signer leurs feuilles de composition et d'y porter, dans les indications de nom, grade, etc., autre part que sur le talon placé en tête de chaque feuille.


Ils doivent apporter, en particulier pour l'épreuve topographique, tout un petit matériel de crayons de couleurs, compas, règles, doubles décimètres, loupe, etc.


Les examens écrits d'admissibilité se composent actuellement de huit épreuves qui, en1906, sont fixées aux 10, 11, 12 et 13 janvier.


Elles portent sur les matières suivantes :


1° Solution d'une question de tactique. Le sujet de composition distribué indique, dans tous les détails voulus, une situation de guerre particulière pour une grande unité, division par exemple, ou détachement des trois armes, suppose successivement des événements, des renseignements ou des, ordres supérieurs. Chaque candidat, se mettant dans la peau du chef de cette troupe, doit prendre ses dispositions, rédiger ses ordres et justifier sommairement sa solution. Généralement, cette épreuve, qui ne dure cependant que trois heures, afin d'obliger les officiers à montrer s'ils savent travailler vite, se compose de plusieurs parties distribuées successivement, à des moments fixés, pour éviter qu'on ne se laisse influencer, dès le début, par des événements supposés ultérieurs.


Cette épreuve est de beaucoup la plus importante comme le prouve la comparaison du coefficient qui lui est affecté (8) avec ceux des autres compositions. Son importance est encore augmentée du fait que les correcteurs la cotent, en pratique, d'une manière extrêmement sévère, afin de pouvoir mettre en valeur les officiers qui s'y distinguent. Bien que les notes s'échelonnent sur l'échelle de 0 à 20, la plupart des notes données restent au-dessous de 10, on voit distribuer communément des 6, des 5, voire des 2 et des 0; 10 et 11 sont de très bonnes notes; les 15, les 17 sont tout à faits exceptionnels. Avec 8 on est largement dans la moyenne des admissibles.


2° La seconde épreuve, qui a lieu le même jour, est celle d'allemand. Elle se compose de deux parties : pendant une heure on a à faire la traduction, à main levée, d'un texte français, sans dictionnaire ni lexique quelconque; ensuite pendant une demi-heure, on développe en allemand un sujet de rédaction donné également dans cette langue.


3° Le second jour, deux heures sont consacrées à la composition d'histoire militaire. Les idées sur cette composition ont beaucoup varié : pendant longtemps, l'histoire comme la géographie ont fait partie de l'oral. Ces dernières années, dans le but de diminuer la part de la mémoire et de favoriser celle de l'intelligence, on a réduit le programme à quatre ou à trois campagnes, que les candidats devaient alors connaître absolument à fond, en s'attachant particulièrement à la philosophie de l'histoire. On est revenu de ce système, et aujourd'hui le programme embrasse de nouveau toute l'histoire militaire depuis 1789 jusqu'à nos jours. Il ne doit être fait qu'une étude sommaire des faits qui doivent être considérés en particulier dans leurs causes et conséquences. Il est indiqué deux sujets de composition; le candidat traite son choix celui qui lui convient le mieux.


4° L'après-midi, c'est le tour de la composition de géographie, qui dure deux heures. Là encore il est indiqué deux sujets entre lesquels choisit l'intéressé. Chacun de ces sujets comporte deux questions : la principale, sur la France ou les pays limitrophes; la seconde, sur tout le reste, ne doit être qu'un exposé sommaire. Aux sujets distribués sont jointes des cartes-croquis, en sorte que le candidat n'a pour ainsi dire pas à faire preuve de la mémoire inintelligente qui consiste à aligner des noms. On trouve avec raison qu'il importe seulement, de connaître ce qui ne se trouve pas sur les cartes d'état-major ou de géographie : caractère des régions, nature géologique du sol, commerce, industrie, ressources, climat, valeur des voies de communication, caractère et aptitudes des habitants, etc.


5° L'épreuve de fortification, qui dure trois heures, le troisième jour, comprend une question d'ensemble sur l'histoire de la fortification, les principes de la fortification actuelle et le service du génie (ponts de bateaux, destruction, télégraphie, etc.), et une question d'application sur la carte, avec croquis à grande échelle, visant l'utilisation des troupes et du matériel du génie, ainsi que l'outillage du corps d'armée, dans une situation tactique déterminée. C'est, en somme, une nouvelle composition de tactique avec application plus spéciale de l'un des services. C'est là que les candidats mal « tuyautés » échouent piteusement s'ils ont le malheur de se lancer dans des détails d'exécution technique, alors qu'on leur demande de traiter la question de haut, au point de vue tactique.


6° L'épreuve suivante est celle de législation et d'administration, qui dure deux heures. Là aussi le sujet doit être traité de haut en s'abstenant soigneusement de descendre dans les détails administratifs. On doit étudier la raison d'être des grands principes formant comme l'ossature des lois et règlements, au besoin leur histoire et leurs conséquences.


7° Enfin, la série des compositions écrites se termine par l'exécution, le quatrième jour, pendant quatre heures, d'un croquis topographique, agrandissement à une échelle donnée d'une portion de carte d'état-major, en représentant la figure du terrain au moyen de courbes horizontales.


Environ un mois après, vers la fin du mois de février, l'Officiel publie la liste des 160 à 180 officiers déclarés admissibles à la suite des épreuves écrites. Il indique également le jour où ceux-ci devront se réunir à Paris, à l'École de guerre, pour les examens oraux.

 

Les épreuves orales

 

Ces examens sont subis devant la commission qui déjà s'est chargée de la correction des épreuves écrite. Elle est composée du comité technique d'état-major de l'armée, auquel sont adjoints un certain nombre de généraux, colo­nels ou lieutenants-colonels de différentes armes, un fonctionnaire de l'intendance et un officier supérieur du corps de santé. Les troupes coloniales sont représentées par un officier d'infanterie ou d'artillerie coloniale.


La commission est subdivisée, pour la correction des épreuves écrites, en autant de sous-commissions qu'il y a de matières ; un professeur de l'École de guerre est adjoint à chacune d'elles. Pour les examens oraux, elle se subdivise en deux sous-commissions qui opèrent en même temps.


Au jour et à l'heure fixée, le candidat, en gants blancs et sabre au côté, pénètre dans le vestibule qui précède la salle d'examen ; un officier de la commission lui remet l'indication des sujets d'application qu'il aura à traiter sur la carte. Une table et une chaise sont disposées ainsi que les cartes nécessaires ; pendant les vingt minutes, que dure l'examen du précédent, le candidat peut donc réfléchir aux, questions qu'il va avoir à traiter. Enfin, le moment critique arrive. Il entre, se trouve en présence de trois généraux, et de quatre ou cinq officiers supérieurs, assis autour d'une grande table en fer à cheval, tous munis de nombreuses cartes. On le prie de s'asseoir devant une table isolée au milieu de la pièce, et de développer ses vues sur les questions d'application qui lui sont échues. Le professeur et parfois l'un des membres de la commission, lui pose des questions complémentaires ou des questions théoriques pour éclairer leur appréciation, puis on le remercie.


Les candidats sont invités à présenter aux commissions les publications ou travaux intéressants qu'ils auraient pu faire pendant leur carrière. Parfois, une partie de l'examen roule sur ces travaux qui peuvent, bien entendu, être totalement étrangers au programme des examens. Ainsi, un officier apporte un télémètre de son invention, un autre un appareil de pointage d'artillerie, un troisième un ouvrage de psychologie, un quatrième un projet de règlement qu'il a l'intention de soumettre au ministre, ou le calque de levés topographiques faits dans une colonie lointaine.


Les commissions, en effet, n'ont pas seulement à juger de la valeur, au point de vue de sa science technique, du candidat examiné, mais doivent également émettre un avis sur sa valeur générale et produire une note dite « d'aptitude » appelée par les intéressés « côte amour ». Cette note est basée en grande partie sur le dossier du personnel de l'officier qui, à cet effet, est mis sous les yeux de la commission. Elle est influencée, bien entendu, par l'aspect général de l’officier, par l'impression d'intelligence qui peut se dégager de ses explications, par sa facilité d'élocution, etc.


Les examens oraux roulent sur les matières suivantes : infanterie, cavalerie, artillerie, tactique, organisation, règlements, histoire de chacune des .armes, leur organisation en Allemagne, en Russie, en-Autriche, en Italie. On voit quel vaste champ embrassent ces programmes !


A l'examen d'allemand, les candidats ont à traduire à livre ouvert du français en allemand et de l'allemand en français, à déchiffrer des manuscrits allemands, puis à soutenir une conversation dans cette langue avec l'examinateur.


On peut présenter en plus de l'allemand, obligatoire, toutes autres langues étrangères. On subit alors à part examens écrits et oraux. La note obtenue n'est comptée, pour le classement d'admission, que si elle atteint au moins 16. L'an passé, un candidat a présenté six langues et a eu au moins 18 sur chacune d'elles. On est obligé d'avoir recours parfois, comme examinateurs, à l'École des langues orientales.


Les examens oraux comportent maintenant une épreuve, d'introduction toute nouvelle, sur l'hygiène en temps de paix et en campagne.


Enfin, ils se terminent par une séance d'équitation où, sur les purs sangs de l'École, les officiers sont invités à exécuter en reprise, puis successivement avec et sans étriers voltes, changements d'allure, changements de pied, saut d'obstacles, etc. Cet examen est le seul public, et la tribune du manège est à cette occasion remplie d'officiers de l'École ou d'amis accourus pour prendre des nouvelles.


On voit, par ce rapide exposé, que les programmes si chargés, et les examens eux-mêmes sont dirigés de façon à faire ressortir moins la mémoire que l'intelligence des candidats.


Les coefficients attachés aux différentes branches des examens sont :

ÉCRIT

Tactique                                            8

Histoire militaire                                5

Géographie                                       4

Législation et administration             3

Allemand                                           2

Croquis topographique                      3

Fortification                                        6

ORAL

Infanterie                                            5

Cavalerie                                            5

Artillerie                                              5

Allemand                                            2

Russe et anglais (facultatif)               1

Chaque autre langue (facultatif)        1/2

Note d'aptitude générale                    6

Équitation                                           2

 

Le lendemain du jour où le dernier officier convoqué a subi ses examens, parfois même quelques heures après, tous les candidats sont réunis dans l'un des amphithéâtres de l'École de guerre et là, un officier de la direction des études lit la liste des admis. C'est un moment cruel pour ceux que le sort n'a pas favorisés. Au fur et à mesure que la lecture se poursuit le cœur se serre et la clôture de la liste arrive comme un coup de massue, obligeant à constater définitivement que tous les efforts faits sont perdus, surtout si l'on s'est présenté pour la troisième et dernière fois. Ils se retirent alors l'âme remplie d'une profonde tristesse, tandis que les heureux élus laissent éclater leur joie et se félicitent les uns les autres.


Quelques minutes après, 100 officiers s'empilent dans le bureau de poste de l'avenue Bosquet pour télégraphier à leur famille la bonne ou la mauvaise nouvelle.


Les stages préalables à l'entrée à l'Ecole

Les examens sont généralement terminés l'un des jours de la Semaine-Sainte. Chacun s'envole alors aussitôt vers sa famille, car il serait inhumain de la part du chef de corps de refuser à l'officier reçu, et même à celui qui a échoué, une permission presque indispensable pour lui permettre de se reposer de l'énorme effort intellectuel qu'il lui a fallu faire.


Mais avant tout, l'élu doit se préoccuper, surtout s'il est marié, de chercher logement; ce n'est pas chose toujours facile, car on est quatre-vingt-cinq à la fois à tomber sur les appartements libres autour de l'École, et des prescriptions spéciales interdissent de s'éloigner au delà d'un rayon déterminé. D'ailleurs, on n'en a pas envie, quand on sait qu'on aura à faire le trajet de chez soi à l'École jusqu'à six fois, certains jours.


Ceux que le sort n'a pas favorisés rentrent à leur régiment.


Jusqu'en 1900, les officiers reçus, eux aussi, rejoignaient leurs corps et reprenaient pour quelques mois leur ancien service, puisque les cours de l'École ne commencent qu'en novembre. Aujourd'hui, on juge préférable de ne pas obliger ces officiers à reprendre sans goût, pendant quelque temps, un emploi qu'ils vont définitivement quitter ; on préfère utiliser cet intervalle à leur faire étudier en pratique les deux armes qu'ils ne connaissent encore qu'en théorie.


Ils sont donc aujourd'hui astreints à accomplir deux stages, de deux mois chacun, dans les deux huiles autres que la leur : les fantassins et les cavaliers vont commander une section ou une batterie d'artillerie à l'époque des écoles à feu ; fantassins et artilleurs font les manœuvres, dans un régiment de cavalerie, cavalcadant à la tête d'un peloton ou d'un escadron, filant en reconnaissance le matin pour se reposer le soir en s'initiant aux mystères du pansage.


Certes, ces deux stages sont fort agréables et fort intéressants. Pour la première fois on se trouve au milieu d'éléments nouveaux, sans responsabilité, sans souci autre que celui de chercher à voir, à observer et à noter.


Ces périodes sont d'autant plug agréables qu'elles sont séparées et suivies par un mois, dont il est d'usage de profiter pour prendre de nouvelles permissions.


C'est ainsi, qu'on est tout frais et dispos, lorsque, vers le 23 octobre, arrive le moment de rejoindre l'École supérieure de guerre.


On est convoqué pour cette époque non encore pour le commencement des cours de l'École, mais pour recevoir les instructions nécessaires pour une petite expédition topographique de six à sept jours qui va avoir lieu aux environs de Paris.


Munis de cartons de topographe confectionnés par soi-même, à moins qu'on ait pu retrouver le fameux « carton d'amphi » si pittoresquernent bariolé de Saint-Cyr, souvenir déjà ancien, les poches bourrées de crayons de couleurs, on prend le train et on se réunit par groupe de 10 ou 12 en quelque petite ville des environs de Paris, sous la direction d'officiers détachés du service géographique de l'Armée.


Puis, on se lance dans la campagne, on vise, on calcule, on dessine, on étalonne. On dresse des levés rapides du terrain conformément à des principes qu'on ignorait jadis et qui ne manquent pas de sens pratique, on rectifie une portion de carte d'état-major pour se rendre compte de la valeur des inexactitudes que cette carte renferme forcément par suite d'erreurs, de négligences ou de transformations survenues depuis sa confection ; on jette des croquis-perspective, on résout des problèmes de visibilité de plans, etc. Pour tout cela, l'usage d'instruments de précision est radicalement proscrit, on ne doit se servir que de la boussole-alidade Peigné, instrument portatif de campagne, ou mieux d'instruments grossiers fabriqués par soi-même avec une ficelle, des épingles et un bout de règle. Avec un peu d'ingéniosité, on arrive à des résultats remarquables.


En résumé, on étudie tout ce qui touche à la topographie réellement simple et pratique, la seule qu'un officier d'état-major puisse avoir à exécuter dans une reconnaissance de guerre.


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