L’École supérieure de guerre chez les sapeurs à Roissy

Article paru dans Armée et Marine du 15 mai 1907.

 

Tout dernièrement, les officiers de la dernière promotion de l’École supérieure de guerre sont allés à Poissy, pour voir exécuter par les sapeurs du 1er génie quelques exercices de pontage.

 

Il nous a paru intéressant de les suivre et nous  nous proposons de donner à nos lecteurs un aperçu de ce qu'on leur a montré.

 

Les pontonniers ont vécu. C'est aux sapeurs à maintenir leur vénérable tradition. Ils ont eu déjà du reste, à faire leurs preuves. A Madagascar, une compagnie du génie employée tout entière au franchissement d'une rivière se trouvait réduite au bout de quelques jours à son capitaine et à six hommes. Mais le travail était achevé. Par cet exemple, on peut voir que les sapeurs ne seront pas inférieurs à leurs devanciers pour le courage. Mais il faut les égaler pour l'habileté et le savoir-faire. Il est évident qu'on ne peut demander à un sapeur de deux ans, qui a fait, un peu tous les métiers, le même brio qu'au pontonnier de cinq ans qui avait fait des ponts d'équipage pendant toute la durée de son service militaire.

 

Néanmoins, ce que nous avons vu à Poissy, samedi, nous permet d'affirmer que nos sapeurs sont à hauteur de leur tâche.

 

Ils ont construit devant nous deux ponts, par des méthodes différentes.

 

L'un, qui allait de la rive gauche de la Seine jusqu'à l'ile située en face de Carrières-sous-Poissy était un pont dit « par bateaux successifs ». Le procédé de construction s'explique de lui-même : un 1er bateau est amené de l'aval, reçoit cinq poutrelles qui sont immédiatement brêlées à un « corps mort », grosse pièce de bois munie de crochets solidement fixée sur la rive, puis couvertes de madriers qui constitueront le tablier. Cette opération n'est pas achevée qu'un 2e bateau venu de l'amont s'est laissé descendre sur son ancre pour se placer à côté du premier, reçoit ses poutrelles et sert ainsi de corps de support à la deuxième travée. Et ainsi de suite jusqu'à l'autre rive.

 

On a intercalé dans le pont, comme le montre notre photographie, une portière, élément de pont, de trois bateaux qu'on peut enlever à volonté pour laisser le passage libre aux bateaux naviguant sur le cours d'eau.

Le pont qui a été fait devant nos yeux avait environ 90 mètres de long, et sa construction n'a pas demandé plus de 45 minutes.

 

Quant au deuxième pont, jeté entre deux îles de la Seine, sa construction rappelle le procédé employé par Napoléon, à l'île Lobau.

On sait que, enfermé dans l'île, il cherchait par des démonstrations à attirer l'ennemi d'un côté pendant que, profitant de ce court moment, il passerait de l'autre. Il fit donc commencer en plusieurs points, au vu et au su de tous, un grand nombre d'amorces de ponts. Russes et Autrichiens, prévenus, se tenaient sur leurs gardes. Mais pendant ce temps, et dans le plus grand silence, dans un bras mort du Danube bien défilé aux vues, on construisait un pont de bateaux auquel il ne manquait que les deux culées. Puis une belle nuit, ce pont descend le courant, et, habilement piloté vient unir l'île Lobau à la rive ennemie. L'armée française pouvait passer. Eh bien, nous vîmes pareil spectacle sur les bords paisibles de la Seine. Une « partie » de pont, composée de onze bateaux, mesurant par conséquent une soixantaine de mètres, se détacha soudain de la rive gauche, et s'avançant lentement, sous l'impulsion de ses quarante rameurs, vint s'emboiter avec une précision mathématique entre les deux culées préparées d'avance pour la recevoir.

 

On discutait fortement sur l'utilité d'une telle manœuvre toujours est-il que, comme mouvement de parade, on en trouverait difficilement l’équivalent.

 

Le pont construit, la foule bigarrée d'uniformes aux couleurs éclatantes des officiers de l’École de guerre s'y engagea pour aller examiner une petite passerelle qu'on apercevait à peine an milieu de ces larges ponts de bateaux. C'était le détachement cycliste des sapeurs du 1er qui l'avait construite, avec des bois coupés sur place et des claies confectionnées avec des branches d'arbres.

 

Ce détachement, attaché en temps de guerre à une division de cavalerie, joue auprès d'elle le même rôle qu'une compagnie du génie dans la division d'infanterie. Il porte sur ses machines le quoi faire des passerelles, de quoi faire sauter des ponts, en un mot, de quoi se suffire à lui-même en toutes circonstances. Nous aurons d’ailleurs probablement l'occasion d'en reparler.

 

C'est à lui qu'appartiennent ces sacs que l'on aperçoit sur une de nos photographies et sur lesquels un profane ne se risquerait certes pas volontiers : sacs en toile imperméable, gonflés de paille, sur lesquels peuvent s'embarquer cinq hommes, et qui, réunis en radeaux, peuvent transporter les voitures les plus lourdes.

 

Mais, pendant que nous examinons les travaux des cyclistes, voilà que tout a disparu : plus de pont ! Mais des bateaux qui reviennent à la rive, et des files d'hommes portant des poutrelles et des madriers. En quelques minutes, les deux ponts sont repliés, et il ne nous reste plus qu'à regagner nos pénates derrière l'École de guerre qui, dans une déroute complète, retourne à grands pas à la gare de Poissy.

 

Capitaine PAMPHILE.

 

 

La sortie de l’eau d’un bateau d’équipage devant les officiers de l’École de guerre.

 

Les officiers de l’École de guerre traversant le pont de conversion construit devant eux par le génie, à Carrières-sous-Poissy.

 

La fin de la démolition du pont fait par le 1er génie, à Carrières-sous-Poissy.

 

 


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