LES MISSIONS IMPRÉVUES DU CENTRE D'INSTRUCTION D'ÉTAT-MAJOR - MAI 1940

D’après un article du colonel Robert de la 47e promotion de l’École supérieure de guerre, paru dans le numéro 66 du Bulletin trimestriel de l’association des Amis de l’École supérieure de guerre (2e trimestre 1975)

 

La première et la seconde promotion du centre d’instruction d’état-major avaient travaillé à l'École militaire, à Paris, du 11 septembre au 17 octobre 1939 et du 20 novembre 1939 au 20 février 1940.


L'objet du présent article est de dire ce que fut la troisième promotion du centre d’instruction d’état-major qui se trouva mêlée aux événements tragiques du mois de mai 1940.

Cette promotion n'était évidemment ni destinée ni préparée à jouer au rôle semi-opérationnel qu’elle tint, de manière imprévue, du 13 au 19 mai 1940

Composition du centre

Le centre d'état-major comprenait une direction, des cadres administratifs en provenance de l'École de guerre, une compagnie administrative, du personnel enseignant, un intendant, un médecin (voir état joint).

 

La troisième promotion se composait de 144 stagiaires français, dont 71 officiers d'armes, 2 intendants et 2 médecins d'active et 69 officiers de réserve (voir état joint).


Ces stagiaires étaient répartis en 8 groupes de 18. Les stagiaires français avaient été choisis parmi les capitaines ou lieutenants anciens ayant une bonne expérience du commandement. Les officiers d'active étaient des admissibles aux concours de l'École de guerre de 1938 et 1939, les officiers de réserve avaient été choisis parmi ceux inscrits au cours d'information préparatoire aux cours de formation des officiers de réserve du service d'état-major.

 

La caractéristique de la troisième promotion a été de comporter deux instructeurs et douze officiers polonais stagiaires, dont certains avaient l'expérience des méthodes modernes de combat pour avoir été engagés en Pologne en septembre 1939, ce qui leur permettait de mettre les français en garde contre l'action des blindés allemands (l'accord signé le 4 janvier 1940 entre le gouvernement français et le gouvernement polonais en exil, dont le chef était le général Sikorski, prévoyait, en effet, la constitution, en première urgence, de grandes unités et de centres de perfectionnement pour les officiers d'état-major et les officiers de toutes armes.

Les officiers polonais comptaient donc en supplément au centre d’instruction d’état-major, à raison de 1 ou 2 dans chaque groupe et constituaient, pour certains cours, un neuvième groupe homogène polonais de 12 officiers.

Installation du centre

Le Grand quartier général décida que la troisième promotion s'installerait dans la zone des armées, à proximité du GQG Nord-Est (général Georges) et de terrains d'exercice. C'est ainsi que fut retenu Compiègne, où il n'y eut pas d'autre formation militaire, mise à part une gestion territoriale des subsistances.


La direction du centre s'implanta fin février 1940 au cercle Saint-Hubert, dans l'avenue Thiers (le cercle, utilisé par les Allemands dès leur arrivée à Compiègne, fut détruit par un incendie au cours de cette occupation). Des baraques en bois, montées à cet effet sous les arbres du Rond-Royal, formèrent les salles de travail avec des tranchées abris à côté.


Les officiers logeaient en ville, en billets de logement ou à l'hôtel (hôtel du Palais, près du château, pour certains cadres). Le mess de garnison assurait les repas.


C'est dans cette situation que les stagiaires arrivèrent le 24 mars 1940 après qu'ils eurent effectué aux armées de courts stages dans une arme autre que la leur.

 

Compiègne est sur la route classique des invasions qui ont si souvent emprunté la vallée de l'Oise entre la Meuse moyenne et la région parisienne. Le confluent de l'Aisne et de l'Oise est à proximité de telle sorte que la ville est un carrefour important de voies de communications.

Cette situation marqua fortement le rôle du centre d'état-major  à partir du 10 mai 1940.

Fonctionnement du centre

- Jusqu'au 10 mai 1940

 

Jusqu'au 10 mai 1940, l'instruction se déroula sans particularités notables avec des exercices sur le terrain aux abords de Compiègne et des présentations d'unités.

 

Parmi celles-ci, à noter, en avril, celles de la 1re division d'infanterie motorisée au repos dans la zone de Lassigny et, en particulier, celle du 1er régiment d'infanterie motorisée, commandé par le colonel Curnier qui avait dirigé le centre à l'École militaire après avoir été professeur à l'École supérieure de guerre.

 

- A partir du 10 mai 1940

 

Le 10 mai, le centre fut réveillé au lever du jour par les premières bombes tombant sur le quartier de la gare et les abords de Venette. On vit alors le ciel rempli de formations de Junkers allant bombarder les ponts de l'Oise et de l'Aisne, aux abords de Compiègne, ainsi que les gares et nœuds de voies ferrées de Compiègne-Verberie, Longueuil-Sainte-Marie, Villers-Cotterêts, Crépy-en-Valois et Soissons.

 

 

 

Le centre continua à travailler comme prévu le vendredi 10 et le samedi 11 mai avec, en particulier, le 11, un exercice sur les plateaux de part et d'autre de l'Aisne dans la région de Vic-sur-Aisne où l'on devait se battre peu après (1re demi-promotion au sud, 2e demi-promotion, au nord de l'Aisne).

 

Il y eut repos le dimanche de la Pentecôte, 12 mai. Le lundi 13, on vit arriver à Compiègne les premiers réfugiés français et belges, en général motorisés, tandis que le centre avait ses dernières leçons théoriques le 13.

 

Au matin du 14 mai, le centre d'instruction d'état-major cessa de fonctionner comme tel et, dans l'après-midi, le lieutenant-colonel Azaïs partit se renseigner à Château-Porcien au PC du général Touchon. Celui-ci venait de prendre le commandement d'un détachement d'armée, bientôt transformé en 6e armée, qui s'introduisait entre la 2e armée qui prenait comme limite ouest Vouziers et la 9e armée, qui prenait comme limite est Vervins. Sa mission était de résorber la poche de Sedan en tenant un front échelonné de Rethel à Soissons et en maintenant des têtes de pont au-delà de l'Aisne et de l'Ailette.

 

Pendant ce temps, le lieutenant-colonel Charpentier brossait aux stagiaires un tableau de la situation et leur indiquait les nouvelles missions qu'allait assumer le centre d'instruction d'état-major tout en leur faisant faire des patrouilles pour maintenir l'ordre parmi les réfugiés qui se regroupaient sur la place du château avant de poursuivre leur route.

 

Le centre d'instruction d'état-major étant le seul élément sur lequel on puisse compter à Compiègne, le lieutenant-colonel Azaïs assuma, à partir du 14 mai soir, sur ordre du GQG le commandement de la place. Il s'installa à la caserne Bourcier, avec antenne à l'hôtel de ville. Il s'entoura du commandant Lalande, instructeur à l'équipe n° 1, du commandant Robert, instructeur à l'équipe n°3 et de quelques stagiaires.

 

Les missions du centre d'instruction d'état-major furent les suivantes :

 

1) Organiser et faire fonctionner un poste de liaison du GQG nord-est (général George à La Ferté-sous-Jouarre) destiné à le renseigner sur l'avant et à documenter les unités soit repliées, soit montant en ligne.

 

2) Former des équipes de garde aux entrées nord et est de Compiègne, ainsi qu'en gare, pour y surveiller et canaliser la circulation.

 

3) Organiser et encadrer des zones de regroupement pour les éléments bousculés sur la Meuse.

 

4) Préparer la destruction éventuelle des ponts de l'Oise, à Compiègne et de l'Aisne, en aval de Soissons.

 

L'examen de l'exécution de ces différentes missions permet d'étudier l'action du centre d'instruction d'état-major jusqu'au 19 mai.

 

A cette date, un front se trouva reconstitué provisoirement. De grandes unités occupaient ce front et un commandant d'armes avait été nommé à Compiègne pour reprendre les missions du centre d'état-major.


Les officiers polonais quittèrent Compiègne le 14 mai 1940 pour rejoindre la 2e division de chasseurs à pied polonais (général Prugar-Ketling) organisée à Parthenay à partir du mois de janvier 1940. Cette division fut transportée dans l'est où elle devait défendre la trouée de Belfort après quoi elle fut amenée, dans la matinée du 20 juin 1940, à passer en Suisse dans la région de Saint-Hippolyte et elle fut internée.


Poste de liaison du Grand quartier général

Au titre de cette mission, on peut signaler le passage de divers officiers de liaison du GQG, dont le chef de bataillon d'infanterie Laloux (48e promotion) et le capitaine de cavalerie Catoire (52e promotion).

 

On peut signaler en outre :

 

1) La liaison faite au centre d'état-major, le 13 mai au soir et dans la nuit du 13 au 14, par le commandant Loustounau-Lacau, ancien chef d'état-major de la 35e division d'infanterie. Il relevait d'arrêts de forteresse pour avoir critiqué le gouvernement et allait prendre le commandement d'un bataillon de pionniers avec lequel il combattit. Il insista auprès du GQG pour que le centre cessa de fonctionner comme tel et, au cours de la nuit qu'il passa à Compiègne, il rédigea, à l'adresse du maréchal Pétain, alors vice-président du conseil, une lettre proposant une tactique à suivre pour faire face à l'invasion allemande.

 

2) La liaison prise le 15 mai par le chef d'état-major de la 28e division alpine. Cette division, en secteur dans les basses Vosges depuis fin octobre 1939, avait quitté l'Alsace le 13 avril 1940 pour venir au repos et à l'instruction dans la région sud de Dôle (Jura), en réserve de GQG, avec P.C. à Mont-sous-Vaudrey. Elle commença le 14 mai à être transportée par voie ferrée à destination de la région d'Anor (Aisne), à la frontière belge, à 10 kilomètres au nord d'Hirson. Cette destination dut être modifiée en raison des circonstances et le QG de la 28e DIA débarqua finalement sous les bombes d'avion en gare de Soissons, dans une ville encombrée de réfugiés, où l'avait précédé son GRDI (22e GRDI).


C'est de Soissons que le chef d'état-major (commandant Collignon, de la 61e promotion.) se rendit à Compiègne à la recherche de renseignements pour installer la division. Au fur et à mesure des débarquements, ses unités étaient portées sur l'Aisne dont tous les ponts furent finalement tenus. L'attaque de la 4e division cuirassée du colonel De Gaulle, partie le 17 mai, à 4 h 15, de la région de Laon - Liesse en direction de Montcornet, ayant amélioré la situation, la 2e DIA se porta sur l'Ailette avec huit bataillons en ligne et un en réserve de corps d'armée, sur un front de 24 kilomètres, de Vauxhaillon (5 kilomètres sud-ouest d'Anizy-le-Château) à Bourg-et-Comin (11 kilomètres nord de Fismes) où elle se trouva installée le 18 mai au soir. Elle était commandée par le général Lestien, ancien professeur d'histoire à l'École de guerre.

 

3) La liaison faite le 13 mai vers Noyon-Saint-Quentin auprès de la 1re division cuirassée.

 

4) La liaison faite le 14 mai à Amiens, sous un bombardement, par les commandants Grenet et du Fresne de Virel, tous deux instructeurs à l'équipe n°2.

 

5) La liaison faite le vendredi 17 mai, sous un beau soleil, par le lieutenant-colonel Charpentier à Douai, auprès du général Billotte, commandant le groupe d'armées n°1 qui devait trouver une mort accidentelle peu après. Le but de cette liaison était de renseigner le GQG sur la possibilité d'une action du groupe d'armées n°1 vers le sud conjuguée avec une offensive du sud au nord dans la région de Noyon en vue d'un rétablissement du front sur la Somme. Le lieutenant-colonel Charpentier rendit compte au GQG qu'un rétablissement n'était possible que sur la Seine, mais ne réussit pas à convaincre bien que les Allemands aient atteint :


- le 16 mai : Château-Porcien, Montcornet, Marie, Aubenton (à 90 kilomètres de Compiègne) ;

- le 17 mai : Maubeuge, Guise, Ribemont, Crécy-sur-Serre, Montcornet, Nouvion-Porcien (à 60 kilomètres de Compiègne).

 

6) La liaison de la 87e division nord-africaine (général Barbeyrac de Saint-Maurice) venant de Dieuze (Moselle) où elle était en réserve du groupe d'armées n°2. Mise en mouvement par voie de terre et de fer à partir du 15 mai à 13 h 30, elle devait aller à Hirson mais les événements en disposèrent autrement. Elle débarqua en gares de Compiègne, Pierrefonds et Attichy et fut affectée le 17 mai au 27e corps d'armée (de la 6e armée). Son QG s'installa initialement à Pierrefonds, puis, du 20 au 26 mai, à Morsain (12 kilomètres nord-ouest de Soissons). On lui rattacha la 2e compagnie antichars divisionnaire polonaise organisée par la 2e division de chasseurs polonais. Le 87e GRDI, débarqué le 16 mai à Compiègne, occupa les ponts de Compiègne, Choisy-au-Bac, Le Francport et Rethondes. La DINA fit mouvement par voie de terre les 18 et 19 mai sur l'Ailette pour la tenir entre le bac d'Arblincourt (6 kilomètres sud de Chauny) en liaison avec la 23e DI et le pont de Courson exclu (5 kilomètres sud d'Anizy-le-Château) en liaison avec la 28e DIA tandis que son GRDI occupait les ponts de l'Oise depuis Brétigny (8 kilomètres est de Noyon) jusqu'au bac d'Abbecourt (3 kilomètres sud-ouest de Chauny).


Le 27e CA, qui était à Molsheim, avait été mis en route par voie de terre et de fer sur la région de Château-Thierry. Son Q.G. s'installa le 18 mai après-midi à Saint-Pierre-Aigle (13 kilomètres sud-ouest de Soissons) et son 136 G.R.C.A. tint les ponts de l'Aisne entre Attichy et Soissons. Sur le front de l'Aisne - Ailette, le 27e CA eut sous ses ordres, de l'ouest à l'est, la 87e DINA, la 28e DIA, la 44e D.I. venant du 28e CA.

 

7) Le passage du général Frère au centre d'état-major le 17 mai au soir. Après avoir quitté son PC de Bitche, le général Frère était arrivé à La Ferté-sous-Jouarre à 17 heures. Il passa vers 20 heures à Compiègne accompagné seulement de l'officier de réserve qu'il avait comme officier d'ordonnance. Il emmena avec lui un instructeur, le commandant de Cahouet, ancien professeur à l'ESG avant la guerre, et deux stagiaires d'active, le capitaine d'infanterie Fournier, du 1er groupe et le capitaine d'artillerie de Montalivet, du 5e groupe, pour se constituer un embryon d'état-major avant de retrouver celui de la 7e armée replié du Nord. Avec eux, il se rendit successivement à Roye, Amiens, Breteuil puis Crèvecœur.

 

8) Le passage, le 17 mai au soir, du commandant Favier, chef d'état-major de la 2e division cuirassée et, dans la nuit du 17 au 18, le passage du colonel Perré (44e promotion) qui devait prendre le commande­ment de cette division le 20 mai. Après un engagement le 14 mai à Montcornet, puis le 17 dans la région de Guise - Ribemont, la 2e division cuirassée s'était repliée, avec PC à Cuy, à mi-chemin entre Noyon et Lassigny. Il y eut, le 18 mai, regroupement à Cuy des chars rescapés (17 chars B1 bis et 25 chars H39) et regroupement dans la région de Saint-Sauveur (sud de la forêt de Compiègne à 3 kilomètres est de Verberie) des éléments du QG de la division, de son régiment d'artillerie (2 groupes de 105 court tractés tous terrains du 309e régiment) et des échelons.

 

9) Les liaisons avec des éléments du Centre d'état-major prises plus ou moins complètement par diverses grandes unités se portant en ligne pour réaliser le dispositif suivant :


- à l'Ouest : la 10e armée (général Altmayer), QG en formation à Crèvecœur puis à Grandvilliers, la droite de cette armée était formée par le 10e CA (général Grandsard) ;

- à cheval sur la vallée de l'Oise : la 7e armée (général Frère) dont la gauche était formée par le 1er CA (général Sciard) et la droite par le 24e CA (général Fougère) ;

- sur l'Ailette : la 6e armée (général Touchon) dont la gauche était formée par le 27e CA (général Noël), QG à Saint-Pierre-Aigle (13 kilomètres sud-ouest de Soissons).

 

Parmi ces grandes unités, on peut citer :


- la 19e DI (général Toussaint) qui arriva le 19 mai à Lachelle, affectée au 1er CA, avant de se trouver regroupée, en réserve de CA, le 20 mai, dans le massif de Boulogne-la-Grasse (12 kilomètres sud-est de Montdidier) où elle stationna jusqu'au 21 mai ;

- la 29e DIA (général Girodias) qui fit mouvement entre le 17 et le 22 mai pour s'installer au nord-est de Noyon, avec QG à Mondescourt (9 kilomètres nord-est de Noyon) en liaison au nord avec la 23e DI (général Jeannel) qui tenait le canal Crozat ;

- des éléments de la 4e division légère de cavalerie à Compiègne le 18 mai.

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