SOUVENIRS DE L’AMPHI DES VALLIERES




Le général PINSON relate quelques souvenirs relatifs aux conférences auxquelles il a assisté, avec la 51e promotion, dans l’amphithéâtre DES VALLIERES.




Ancien de la 51e promotion de l’École supérieure de guerre (1929‑31), je me suis retrouvé le 28 mars 1973 dans le grand amphi de l'école écoutant, le général d'armée HUBLOT exposer devant des auditeurs aux cheveux blancs ou rares, amis de l'École supérieure de guerre, le jeu combiné des trois composantes des forces armées françaises : forces nucléaires stratégiques, forces de manœuvre et forces de défense opérationnelle du territoire. En un vivant triptyque il nous montra combien sont nécessairement complémentaires ces trois éléments fondamentaux de notre sécurité nationale.

 

Et je me suis pris a regretter que, notre auditoire, bien que choisi, fut si restreint alors que tant de nos concitoyens devraient être éclairés très simplement mais très nettement sur un problème qui provoque clans le grand public des opinions du genre :

 

« A quoi peuvent bien servir des corps d'armée et divisions puisque tout sera réglé avec la bombe atomique ? »

 

ou bien « Pourquoi tant dépenser pour une force de frappe nationale qui sera toujours infime comparée à la superpuissance atomique des deux grands : USA et URSS ? ».

 

ou bien encore : « Que peuvent bien peser dans un conflit nos quelques divisions d'intervention ? » sans mesurer l'énorme supériorité de puissance et de mobilité de la division 1973 sur la division 1918 ou 1940.

 

Et j’en passe...

 

Je n'ai pas la moindre intention de reprendre ici l’exposé magistral du général HUBLOT mais il serait bien opportun de donner une large publicité à des arguments accessibles au commun des mortels et qui permettraient de contrebattre slogans défaitistes et idées fausses répandus en tous milieux lorsqu'il s'agit de notre appareil militaire,

 

Or donc revenu pour une heure sur les gradins de l'amphi DES VALLIÈRES, je revoyais le jeune capitaine que j'étais en 1930 assis à cette même place, non comme aujourd'hui sur un siège moelleux propice aux rêveries, mais sur un banc de bois poli par des générations d'élèves J'habitais alors ainsi que plusieurs camarades à Viroflay et que de courses éperdues à travers le Champ de Mars pour aller déjeuner et attraper le train de Versailles quand un professeur peu soucieux des horaires des chemins de fer s'était laissé entraîner dans des développements que nous estimions hors de propos dés qu’ils dépassaient le temps réglementaire.

 

Me revenaient aussi à la mémoire ceux de nos professeurs qui savaient assaisonner leur cours de traits d'humour propres à maintenir éveillées les méninges des « disciples ». Défilaient dans mes souvenirs les militaires, les TOUCHON, DODY, DE MONSABERT, DE LA PORTE DU TEIL, MENDRAS, JAUBERT... et aussi les civils, conférenciers occasionnels : André SIEGFRIED (et son face à main), Jacques BARDOUX, RENOUVIN...

 

Soudain, tandis que le général HUBLOT nous parlait des armements nucléaires, surgit le souvenir d'un très sympathique artilleur, le colonel MENU venu un jour nous entretenir des explosifs utilisés à des fins militaires.

 

Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler que dans les années 30 l'entrée d'un professeur militaire dans l'amphi revêtait une certaine solennité :  gants blancs et sabre étaient de rigueur, ce n'était toutefois qu'un sabre « omnibus » déposé une fois pour toutes dans la petite salle réservée aux conférenciers, et qui passait de main en main à longueur d'année.

 

Mais pour en revenir au colonel MENU, celui-ci fit une apparition qui nous laissa perplexes. Il avait bien sûr le sabre et les gants blancs mais il portait en outre un objet pour le moins incongru dans cette noble enceinte militaire : un carton à chapeau qu'il posa avec précaution entre le sabre et les gants blancs, et sur le dit carton se détachait en lettres majuscules ce simple mot : « ATOME ».

 

Nous avions bien entendu parler de cette petite chose comme d'un élément de la molécule... mais de là à imaginer que cette infime petite chose sans doute cachée dans ce carton à chapeau, pouvait avoir une relation avec le sujet traité...

 

Le colonel MENU fit son amphi sans un regard au mystérieux carton qui nous hypnotisait depuis bientôt une heure. Enfin la péroraison nous apporta la clé de l'énigme.

 

« Voyez-vous messieurs, je vous ai montré tout ce qu'on pouvait attendre dans le domaine militaire des explosifs connus à ce jour. Mais si je vous ai mis ce carton à chapeau sous les yeux pour bien fixer votre attention sur ce mot « atome », c'est que le jour probablement encore fort lointain, où la recherche scientifique trouvera le procédé pour libérer la prodigieuse énergie que renferme l'atome, alors l'humanité connaîtra le plus formidable moyen de destruction qui se puisse imaginer, des millions de fois plus puissant que le plus puissant de nos explosifs actuels. Et ce sera une révolution inouÏe dans la stratégie militaire ! »

 

Ce temps est venu. Vingt-cinq ans après cette conférence que je n'ai jamais oubliée, ce fut la bombe de Hiroshima.

 

Aujourd'hui l'engin nucléaire est entré dans la tactique du champ de bataille.

 

On a accusé certains de nos professeurs militaires de l'entre deux guerres d'être hantés par leurs souvenirs des formes de combat de 1914-1918, ce n'était certainement pas le cas du colonel MENU nous prédisant en une vision d'apocalypse ce qui devait sortir un quart de siècle plus tard du mystérieux carton à chapeau.

 

Article du général PINSON (51e promotion) paru dans le Bulletin trimestriel des amis de l’École supérieure de guerre.


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